«Keur Birago» a du mal encore á sécher ses larmes, la maison des écrivains pleure encore le professeur Sankharé mort, les lettres à la main. A 65 ans, le disciple de père Léo décédé un 25 octobre 2015 voudrait qu’on se souvienne de lui pour ses positions tranchées, son anticonformisme dans un pays où certains intellectuels sont de simples moutons de panurge.
De là-haut où il se trouve au paradis, le professeur Sankharé est en train de régler un quiproquo avec des soufis musulmans sur son si dernier controversé ouvrage : «Le Coran et la culture grecque.» L’on imagine l’échange de civilités entre lui et les exégètes musulmans de son temps, l’on perçoit d’ici les échos de son argumentaire, qui ne se départit jamais de la rigueur de l’agrégé. Dans l’au-delà, ce collectionneur de livres anciens aura la chance de se faire comprendre. Puisque sur terre, il a longtemps été plongé dans un tunnel noir d’incompréhension, de ses écrits comme de ses actes. Des illuminés l’ont accusé, à tort ou à raison, de tous les péchés, après son ouvrage «Le Coran et la culture grecque». Il y a eu une levée de boucliers contre l’impertinent, un tollé contre ce professeur «outrancier», puis un appel du très lucide Serigne Cheikh Sidy Moctar Mbacké, khalife général des mourides, pour que l’affaire soit tue et que le professeur retrouve sa sérénité de scientifique chahuté par de vulgaires intermittents de spectacles, sans prise ni emprise sur la religion. «Quand j’ai lu ce livre, évidemment cela n’a fait que renforcer ma foi, mon amour pour le Coran, l’Islam et le Prophète Mouhamed (PSL)», s’émeut le colonel Moumar Guèye, écrivain-poète. Un témoignage comme un pied de nez à tous les contempteurs de Oumar Sankharé. Fermez les pages de ce livre, Allah n’est pas obligé. Et il faut le dire, sans se cacher derrière le clavier : la vie savante du professeur Sankharé ne saurait être résumée à ce brûlot qui ne brûle que par son titre. Alors, faisons un tour chez les proches de ce professeur peu glamour et qui aimait la compagnie des hommes de lettres et leurs gouailles sérieuses jusqu’au sinistre.

En public, on l’a vu rarement rire aux éclats, mais dans ce monde des lettres où les personnages sont pleins de bon goût, le professeur Oumar Sankharé aimait rigoler aux éclats, il aimait lâcher quelques vannes qui entraînaient les gens dans un fou rire sympathique. Côté allure personnelle, point d’exubérance. Le prof est plutôt volubile, sans charisme. La plupart du temps, il sait ce qu’il faut dire et se taire. Mais impossible d’affirmer qu’il n’est pas sincère. Signe particulier : ne sourit jamais sur les photos. L’homme est un incompris et seuls quelques-uns de ses proches ont laissé échapper dans le journal Le Quotidien quelques confidences sur le défunt universitaire. Adji Maï Dieng, professeur à l’université de Thiès : «Sankharé était conscient qu’il était l’héritier de Léopold Sédar Senghor. Son premier fils porte le nom de Léopold Sédar Senghor. Sankharé porte l’esprit de Senghor.» Et pan ! Sur la bouille des héritiers illégitimes de Senghor. Dans le silence de ses cogitations, diurnes et nocturnes, Oumar Sankharé souffrait en silence de cet accaparement de vautours qui s’empiffraient sans retenue sur l’héritage de Senghor. Mais lui, l’incompris, préférait ne rien dire. Cet homme de lettres aux écrits parfois dérangeants. Pas prophète chez lui, il a bâti son succès sur sa chaire d’enseignant au département des Lettres classiques de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar où il a pris sa retraite, peu avant sa mort.
Ce qu’on ne sait pas de lui, c’est comment le professeur Sankharé a laissé tomber des planques juteuses en France pour préférer «servir» son pays. On est en 2011, le titre honorifique de «Seul Africain Agrégé de Grammaire» vivant (après Senghor bien-sûr), lui tombe dessus. C’est le César de ses palmes académiques si âprement remportées. Il aura suivi Senghor jusqu’à l’agrégation de grammaire. Une prouesse pour l’enfant échappé de Thiès et à qui rien n’a été offert. Ce fils de Baba Sankharé, ancien président de la corporation des mécaniciens du Sénégal et de Marianne Ndiaye, est issu d’une famille modeste. La grande fratrie des Sankharé a quitté Saint-Louis du Sénégal pour s’installer dans un populeux quartier de Thiès. Oumar, fringant garçon à l’esprit vif, se démène dans les études et se trouve récompensé par des résultats encourageants. A 19 ans, il devient sans surprise bachelier, après «un cursus primaire et secondaire extrêmement brillant». L’on raconte encore, dans les couloirs du lycée Malick Sy qu’il aimait faire la gueule, quand il se classait second de sa classe.
L’enfant Sankharé n’a jamais été angoissé, au point de passer pour un otage de ses propres peintures de vie. Au paradis où il va croiser son camarade de classe, le défunt Professeur et directeur du Cesti, Oumar Diagne, les discussions vont sûrement tourner autour de ces années gavroches où les deux rivalisaient d’ardeur à l’école Grand-Thiès et au lycée Malick Sy, à se partager les premiers prix. Une autre histoire. Les choses s’accélèrent pour le professeur Sankharé qui décroche, haut la main, en 1980, un Doctorat de 3e cycle à la Faculté de Lettres et Sciences humaines de Dakar. Il tape à l’œil du Président Senghor avec fracas. Le Président lui octroie une bourse pour la France. C’est la tête farcie d’ambitions que le jeune Sankharé débarque à Paris. Dans le silence de ses nuits hantées par l’échec, il rêve d’agrégation de grammaire, comme son illustre maître, Léo. Auparavant, il obtient une agrégation de Lettres classiques à Paris. La suite, on la connaît. L’on peut citer dans l’escarcelle de ses œuvres : «Notes sur Ethiopiques de Léopold Sédar Senghor» aux éditions «Xamal», un autre livre sur la star planétaire, un ouvrage paru aux Nouvelles éditions africaines du Sénégal (Neas) intitulé : «Youssou Ndour, le poète», il a écrit également le roman «La nuit et le jour», puis «Le Coran et la culture grecque»…
Seulement, la vie, comme la mort de ce père de famille de cinq bouts de bois de Dieu, marié à une seule épouse depuis des décennies, n’a pas été un long fleuve tranquille. La mer de sa vie a été agitée. Il suffit de scruter sa trajectoire jalonnée d’embûches pour s’en rendre compte. Au temple de l’humiliation, l’on a gravé dans la dalle de l’ambassade de France, ce refus de lui accorder le visa pour le pays de Marianne. Malgré les mille et un services rendus à la grammaire française. A l’époque, l’indignation collective des Sénégalais avait poussé les services de l’ambassade à rectifier le tir. L’on a ensuite trahi cet homme, en voulant le faire déguerpir, sans y mettre la moindre forme de courtoisie, de sa villa universitaire qu’il a occupée pendant plus de 30 ans ! Un huissier était venu lui remettre son ordre d’expulsion pour le 27 octobre : son cœur n’a pas résisté. Il meurt deux jours avant la date fatidique. Un 25 octobre de triste mémoire. Cela fait 7 ans dèjá. Repose en paix Professeur !