La problématique de la mendicité des enfants talibés reste sans doute l’une des pires formes d’atteintes aux droits humains des enfants au Sénégal. La pratique de la mendicité forcée est en effet considérée comme une norme sociale pouvant permettre à l’enfant de s’imprégner de nos valeurs religieuses et culturelles.
Cependant, le constat qui est fait est que la majeure partie des enfants au Sénégal sont inscrits dans le système éducatif national reconnu et règlementé par l’État. Ces pépites issues de l’école classique reçoivent également les valeurs fondamentales qui caractérisent l’enfant africain musulman. Ils apprennent également le Coran dans le daara dit externat qui se trouve au coin de la rue. Ils mangent à leur faim, dorment et s’épanouissent auprès de leur famille.
Pendant ce temps, l’enfant talibé erre dans les rues en quête de pitance. Issu de l’école coranique traditionnelle, ce dernier est souvent confronté à des conditions de vies extrêmement difficiles. L’environnement précaire dans lequel ils évoluent les expose à toutes sortes de dangers. Ils sont souvent les proies des gens véreux, plus motivés par l’enrichissement personnel plutôt que par l’éducation et le bien-être de ces enfants. Ils sont les victimes de ces maîtres irascibles qui usent de méthodes violentes pouvant affecter la santé et la sécurité de l’enfant dans l’apprentissage du Coran. On se rappelle encore de ce petit garçon décédé des suites de coups et blessures perpétrés par son maître coranique dans la commune de Touba. Ces enfants talibés souffrent, se désolent, pleurent et meurent faute de soins, d’attention, d’intervention, de moyens.
En 2013, 9 enfants talibés avaient péri dans un incendie qui s’était produit à la rue 19 de la Médina dans un baraquement de 11 chambres et un hangar. Cet événement tragique avait fait réagir l’État du Sénégal qui avait dû prendre d’importantes mesures pouvant éradiquer le phénomène de la mendicité des enfants talibés. Parmi ces mesures, il y avait la mise en place d’un programme de retrait des enfants talibés au Sénégal. Cependant, il est curieux de constater que malgré toutes ces mesures, il reste encore tant à faire. Les mêmes faits ayant provoqué ce drame persistent toujours.
11 ans après, nous revoilà encore en train de dénoncer la même problématique, les mêmes faits et les mêmes abus. En effet, un autre incendie s’est une nouvelle fois produit le 3 août 2024 dans un Daara qui se trouve à Tivaouane, provoquant la mort de plus de 5 enfants talibés.
Va-t-on s’arrêter pour faire un diagnostic de la situation de ces enfants talibés esseulés et laissés à leur sort en prenant les mesures idoines pour éradiquer ce phénomène dans le paysage sénégalais ? Allons-nous continuer de croire à cette soi-disant culture de l’excellence dans le comportement acquise grâce à la pratique de la mendicité forcée ?
En tout état de cause, les deux décennies qui viennent de s’achever au Sénégal ont été celles de la signature et de la ratification de toutes les conventions internationales relatives aux droits de l’homme, y compris des enfants, de l’élaboration de lois spécifiques aux enfants, de la mise en place de programmes et de structures opérationnelles, de l’organisation d’ateliers et de séminaires pour réfléchir à de nouvelles stratégies novatrices pouvant renforcer la protection des enfants. Nous pensons que l’on a noirci beaucoup de papier, que l’on a épuisé quelques quarterons de consultants, de spécialistes, d’experts, de chercheurs et de professeurs pour mettre en place au niveau universel, régional et national une manière renouvelée de s’occuper de ces enfants les plus vulnérables.
Ce qui nous attend aujourd’hui, c’est surtout la mise en application de toutes ces lois pour qu’ils ne dorment pas dans les tiroirs des administrations. Nous devons nous assurer que ces enfants talibés qui n’ont pas accès à certains avantages et sont laissés pour compte puissent voir tous leurs droits considérés et respectés.
Nous interpellons une nouvelle fois les nouvelles autorités sénégalaises à s’inspirer des bonnes pratiques mises en œuvre par tous les acteurs afin de mettre fin à la mendicité forcée des enfants talibés. Cela n’est toutefois possible qu’à travers la mise en place d’un cadre législatif solide pour renforcer la protection des enfants talibés au Sénégal.
Il urge donc d’adopter le projet de loi portant sur le statut des daaras et du code de l’enfant et de s’assurer de la mise en application de toutes lois interdisant l’exploitation des enfants par la mendicité forcée. La mise en commun de toutes les actions et les efforts de très nombreuses ONG et des agences onusiennes pourrait également contribuer à rendre possible cette volonté de respecter et de protéger les droits des enfants talibés au Sénégal.
Oumy Sya Sadio, juriste, Spécialiste des droits de l’enfant