Par Babou Biram Faye
Le départ des forces françaises du Sénégal, après des décennies de présence au camp de Bel-Air, marque un moment historique. Ce retrait s’inscrit dans la dynamique de réajustement des rapports entre la France et ses anciennes colonies africaines. Après le Mali, le Burkina Faso et le Niger, le Sénégal, longtemps perçu comme un allié fidèle de Paris, tourne symboliquement une page.
Mais une question brûle les lèvres : et après ?
Un départ symbolique mais attendu
Ce retrait ne surprend pas vraiment. Depuis l’arrivée au pouvoir du duo Bassirou Diomaye Faye-Ousmane Sonko, les signes d’une volonté de rupture avec l’ordre néocolonial se multiplient. L’annonce du départ des troupes françaises, bien que discrète et sans fracas diplomatique, entre dans cette logique de restauration de la souveraineté.
Elle répond aussi aux aspirations d’une jeunesse désillusionnée, qui voit en la présence militaire étrangère un frein à l’autonomie, un vestige encombrant de la colonisation, voire un symbole de domination voilée.
La souveraineté ne s’improvise pas
Mais quitter un partenariat sécuritaire ne suffit pas à assurer sa souveraineté. Le Sénégal est exposé à des risques sécuritaires tangibles : instabilité dans le Sahel, fragilité persistante en Casamance, cybersécurité, trafics en tous genres, piraterie dans le Golfe de Guinée, sans compter les nouvelles menaces asymétriques.
Le vrai défi est donc celui-ci : que fait-on de cette liberté reconquise ?
Va-t-on se contenter de l’agiter comme un trophée ou allons-nous bâtir une architecture de sécurité véritablement nationale, autonome et moderne ?
Et le patrimoine militaire laissé derrière ?
Le départ des troupes françaises soulève également une question fondamentale de gestion du patrimoine matériel et foncier laissé derrière : bâtiments, infrastructures, terrains, équipements divers. Qui hérite ? Comment ? Et surtout : dans quel but ?
Le camp de Bel-Air, situé en plein cœur de Dakar, constitue une assiette foncière stratégique. Il est donc impératif que l’État en fasse un usage intelligent, souverain, orienté vers l’intérêt national.
Pourquoi ne pas y implanter une école nationale supérieure de guerre, un centre de formation à la cybersécurité, un musée de la souveraineté ou même un centre d’innovation technologique à usage militaire et civil ?
Ce serait une erreur stratégique (et une faute politique) de céder ce patrimoine à des intérêts privés ou étrangers, ou pire, de le laisser à l’abandon.
De nouveaux partenaires ? Oui, mais…
Russie, Turquie, Chine, États du Golfe… Tous guettent les brèches ouvertes par la sortie de la France. Mais changer de partenaire sans changer de paradigme ne ferait que déplacer la dépendance. Le Sénégal, comme les autres États africains, doit repenser ses alliances sur la base d’un intérêt réciproque, d’un respect mutuel et d’une transparence stratégique.
Les partenariats ne doivent plus être dictés par les humeurs des puissances mais par les besoins bien identifiés de notre peuple et les objectifs de notre souveraineté.
Une opportunité pour une refondation
Le retrait français doit être l’occasion d’une refondation nationale. Refondation de notre politique de défense, de notre diplomatie, mais aussi de notre imaginaire national.
Sortir de la tutelle, oui. Mais pour bâtir quoi ? Voilà la question essentielle.
Le Sénégal a les ressources humaines, l’intelligence stratégique, la tradition diplomatique et la légitimité populaire pour devenir le laboratoire d’un modèle africain de souveraineté assumée.
Et après ?
Après, c’est à nous.
À nous de sécuriser nos frontières.
À nous de gérer le patrimoine récupéré avec sérieux et vision.
À nous d’investir dans une armée républicaine, moderne, enracinée dans le peuple.
À nous de nous imposer sur la scène internationale non comme un “bon élève”, mais comme un acteur respecté, debout, maître de ses choix.
Le départ des forces françaises ne doit pas être la fin d’un chapitre, mais le prologue d’un nouveau récit national, lucide, audacieux, et résolument souverain.
Il ne doit aucunement être vu comme une conclusion, mais plutôt comme le début d’une nouvelle ère, le commencement d’un projet plus vaste : celui de la souveraineté réelle du Sénégal. Et non d’un souverainisme irréfléchi.
BBF