Je regarde le Sénégal d’aujourd’hui et j’ai mal. Pas la douleur d’un défaitiste, mais celle d’un homme qui voit son pays glisser lentement dans une folie ordinaire. Nous ne sommes plus une société de valeurs, mais une foire de vanités. Chacun veut paraître, briller, dominer fût-ce au prix de sa dignité, de son humanité, de son frère.
Les réseaux sociaux, promesse de liberté, sont devenus le tribunal des égarés. On y juge sans preuve, on y humilie sans scrupule, on y célèbre la calomnie comme une victoire d’esprit. Des gens honnêtes, travailleurs, discrets, se font détruire en quelques heures par des inconnus qui n’ont jamais rien construit. La rumeur est devenue une arme, la diffamation une distraction nationale. On préfère le scandale à la vérité, le clash à la réflexion. Et pendant que les uns se défendent, les autres rient.
L’intolérance a pris racine dans nos cœurs. On ne sait plus débattre, on ne sait plus écouter. Le désaccord est perçu comme une offense, la différence comme une menace. Nos discussions ne cherchent plus la vérité, mais la victoire sur l’autre. Chacun campe sur sa certitude comme sur un trône de verre, prêt à insulter quiconque ose penser autrement. Et dans cette guerre d’ego, le respect est mort en silence.
Nos familles ne sont pas épargnées. La jalousie s’y est installée comme un hôte permanent. On se compare, on s’espionne, on se souhaite parfois le mal au lieu du bien. Les repas familiaux ne sont plus des moments de partage, mais des scènes feutrées où la rivalité se déguise en sourire. Même entre frères, la réussite de l’un devient une provocation pour l’autre. Nous avons oublié que le bonheur partagé ne diminue jamais celui de personne.
Cette obsession de la réussite à tout prix nous tue à petit feu. Le “quoi qu’il en coûte” a remplacé le “quoi qu’il en vaille”. Peu importe les moyens : tricher, voler, trahir, se vendre, tout est bon tant que le résultat brille. Nous avons troqué la fierté du mérite contre la fascination du gain rapide. Et ceux qui refusent de jouer à ce jeu deviennent suspects, ringards, ou “arriérés”. La droiture est moquée, la décence vue comme une faiblesse.
Le pire, c’est que cette dérive est devenue collective. Même ceux qui savent que ça ne va pas se taisent, par lassitude ou par peur. On s’indigne en privé et on applaudit en public. On critique les puissants le matin, et on se presse à leur table le soir. Le courage moral est devenu une denrée rare, presque naïve. Pourtant, notre pays ne manque ni de sages ni d’exemples.
Je ne veux pas d’un Sénégal où le mensonge est récompensé, où la vulgarité fait autorité, où l’argent remplace le mérite et où l’honneur se négocie. Je ne veux pas d’une société où l’on célèbre les “buzz” plus que les livres, les “followers” plus que les bâtisseurs. Nous avons fait du bruit notre drapeau, de la médiocrité notre hymne, et de la dérision notre sport national.
Mais je crois encore qu’il existe un autre Sénégal, celui du silence utile, du travail bien fait, de la parole donnée et tenue. Ce Sénégal discret, souvent invisible, tient encore le pays debout. Des enseignants, des artisans, des femmes de foi, des jeunes intègres, des citoyens qui refusent la facilité. Ils ne crient pas, ils agissent. Et c’est peut-être là que repose notre dernier espoir : dans la minorité qui n’a pas renoncé à l’élégance morale.
Je ne suis pas pessimiste. Je suis lucide. La lucidité, c’est aimer assez pour dire quand ça déraille. C’est refuser de maquiller la laideur sous des discours de paix creuse et de patriotisme d’apparat. Le Sénégal mérite mieux que cette mascarade quotidienne. Il mérite un sursaut. Pas une révolution de slogans, mais une révolte intérieure, celle qui commence par soi.
Parce qu’avant d’accuser les “autres”, il faut regarder nos propres reflets. Chacun de nous porte une part de la décadence que nous dénonçons. Nous avons applaudi les mauvais, laissé tomber les bons, ri de ce qui méritait silence. Nous avons tous, à notre manière, trahi ce pays un peu.
Alors, que chacun balaie devant sa porte. Que chacun retrouve sa part d’honneur. Le Sénégal ne se relèvera pas par miracle ni par décret. Il se relèvera le jour où l’honnêteté redeviendra une fierté, où le respect reprendra la parole, où la dignité cessera d’être un luxe.
Ce jour-là, les tarés perdront enfin leur scène, et le pays retrouvera son âme.
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