Parfois, il faut avoir le courage de dire les choses telles qu’elles sont, sans détour ni faux-semblant. Depuis plusieurs semaines, certains cherchent à faire passer les critiques de la Présidente Aminata Touré contre Macky Sall pour de la haine personnelle. On la caricature en femme aigrie, rancunière, incapable de digérer une rupture politique. Or, cette lecture est non seulement paresseuse, mais surtout malhonnête. Ce que mène Aminata Touré, ce n’est pas une vendetta : c’est un combat politique fondé sur une exigence de vérité et de mémoire.
Cette posture n’est pas inédite : elle s’inscrit dans une tradition politique bien sénégalaise
En effet, la rupture entre anciens alliés, aussi brutale soit-elle, n’a rien de nouveau au Sénégal. Souvenons-nous : Djibo Ka et Moustapha Niasse, piliers du Parti socialiste, quittèrent Abdou Diouf en dénonçant une trahison politique. Ils l’accusaient d’avoir préféré à tort Ousmane Tanor Dieng, d’avoir « désenghorisé » le parti, d’avoir rompu avec une certaine tradition politique. Les mots furent durs, les attaques frontales, mais nul ne parla de haine. C’était un débat politique intense, fondé sur des convictions profondes.
De la même manière, Idrissa Seck, jadis dauphin de Wade, s’était retourné contre lui. Il le traita de tous les noms, dénonça une dérive monarchique et alla jusqu’à le qualifier de « spermatozoïde » ou de « futur cadavre politique ». Était-ce de la haine ? Non. C’était un affrontement d’ambitions, d’éthique et de visions du pouvoir, comme il en existe dans toutes les démocraties vivantes.
Macky Sall n’a pas été épargné par ces logiques de rupture – il en fut même un des principaux acteurs
Il serait d’ailleurs malvenu d’oublier que Macky Sall n’est pas un simple témoin de cette histoire politique : il en fut un acteur déterminé. Il a bâti sa carrière en s’opposant frontalement à Wade. Éjecté du perchoir, il quitta son mentor lorsque celui-ci tenta d’imposer Karim Wade comme successeur. Pire encore, Macky s’employa à humilier Karim en le convoquant devant l’Assemblée nationale pour l’interroger sur la gestion du sommet de l’OCI. C’était une tentative manifeste de liquidation politique, comme il en initiera d’autres ensuite : contre Idrissa Seck, Khalifa Sall, Ousmane Sonko.
Alors, peut-on dire que Macky Sall haïssait Wade ? Non. Il jouait sa carte politique, avec froideur et calcul. Dès lors, pourquoi reprocher à Aminata Touré d’exercer ce même droit à la rupture et à la parole libre ? La seule différence, c’est qu’aujourd’hui, Macky Sall est de l’autre côté de l’histoire.
Aminata Touré, quant à elle, parle avec la légitimité de celle qui a servi avant de dénoncer
Longtemps fidèle à Macky Sall, elle a été ministre de la Justice, Première ministre, Envoyée spéciale, Présidente du CESE, tête de liste de la coalition présidentielle. Elle a combattu pour le régime, porté ses réformes, assumé ses choix. Et c’est précisément ce passé qui donne tout son poids à sa parole actuelle : elle parle de l’intérieur.
Mais en 2022, elle est brutalement écartée de la présidence de l’Assemblée nationale, une humiliation politique, alors même qu’elle venait de mener Benno Bokk Yakaar à la victoire. Cette rupture, Aminata Touré ne l’a pas acceptée. Non pas par orgueil, mais par principe, parce qu’elle croyait encore à la loyauté politique, à la parole donnée. Et le seul mobile qui justifie cet ignoble épisode est limpide : elle s’était déjà opposée au troisième mandat de Macky Sall, refusant un coup de force institutionnel.
Depuis lors, elle assume pleinement un rôle de veille démocratique
Face à cette mise à l’écart brutale, elle a choisi d’être une vigie politique. Elle dénonce les dérives, les morts lors des manifestations, les emprisonnements arbitraires. Elle dénonce aussi, avec fermeté, la prédation économique qui a marqué le régime de Macky Sall : plus de 1000 milliards de francs CFA évaporés dans des marchés publics douteux, des surfacturations dans les projets d’infrastructure, la gestion opaque des fonds du Covid-19, sans parler du scandale des hydrocarbures avec la société Petro-Tim, qui a éclaboussé jusqu’au sommet de l’État.
Tout cela ne peut être balayé d’un revers de main ou enfoui sous les ors d’une nomination internationale. Elle refuse qu’un tel bilan soit effacé ou réhabilité par une promotion prestigieuse à l’ONU. Car oui : certains bilans exigent silence, pas récompense.
C’est donc un combat contre l’oubli, et non contre un individu
Ainsi, quand Aminata Touré affirme que Macky Sall devrait « raser les murs », ce n’est pas une sortie gratuite. C’est une formule forte, un avertissement moral. On ne gouverne pas un pays pendant douze ans avec des prisons pleines, des rues ensanglantées, et des milliards détournés, puis on aspire à représenter la paix mondiale.
La nuance est capitale : Mimi Touré ne règle pas ses comptes — elle demande des comptes.
C’est pourquoi il est urgent de dépasser les accusations simplistes et paresseuses
Qualifier cette prise de parole de « haine » revient à fuir le débat démocratique. C’est disqualifier une femme politique aguerrie en la réduisant à ses émotions. C’est aussi une stratégie commode pour éviter de regarder en face le lourd passif démocratique et financier du régime sortant.
Aminata Touré n’a fait que rompre, assumer, parler, dénoncer. Non par rancune, mais par fidélité à ses principes, par respect pour l’histoire, et par devoir envers la mémoire des victimes — et des deniers publics spoliés.
Et qu’on le veuille ou non, c’est cela que l’histoire retiendra.
Lamine SENE, MIMI 2024-Thies