Par Babou Biram FAYE
Le cousinage à plaisanterie, pratique sociale séculaire héritée du pacte du Kouroukan Fouga établi au XIIIe siècle par Soundjata Keïta, demeure l’un des piliers du vivre-ensemble en Afrique de l’Ouest. Présent au Mali, au Sénégal, en Guinée, au Burkina Faso et au-delà, ce mécanisme ancestral permet, à travers l’humour et la moquerie bienveillante, de désamorcer les tensions sociales, de renforcer la cohésion et de promouvoir la paix.
Régulateur social
Au Sénégal, il est courant d’assister à des joutes verbales pleines de taquineries entre Peulhs et Sérères, Wolofs et Diolas, ou entre porteurs de patronymes tels que Faye, Diouf, Sène, Ngom, Ndiaye, Diop. Au Mali, les Diarra et Traoré perpétuent la tradition avec la même ferveur. Ce cousinage à plaisanterie, loin d’être anodin, a longtemps servi de régulateur social et de levier d’unité dans des sociétés africaines fondées sur l’interdépendance communautaire.
Mais, aujourd’hui, cet héritage est fragilisé. Dans certaines sphères, on assiste à une remise en question de ces traditions jugées « désuètes » par une élite souvent déconnectée. Pis encore, certains dirigeants affichent une hostilité ouverte à ces pratiques ancestrales, allant jusqu’à les ignorer ou les marginaliser dans les politiques publiques. Cette attitude, souvent motivée par une vision technocratique et occidentalisée du pouvoir, constitue une entorse grave aux fondements socioculturels de nos sociétés.
Il est impératif de rappeler que le cousinage à plaisanterie est bien plus qu’une simple tradition. Il constitue un outil de régulation sociale, un patrimoine immatériel et un facteur de stabilité dans un contexte où les tensions ethniques, religieuses et politiques menacent la paix sociale.
Quel attitude pour nos dirigeants
C’est Soundjata Keita qui fut le précurseur du cousinage à plaisanterie qu’il a initié et formalisé pour affermir les liens entre ses peuples. Dés 1235, lors du Kouroukan Fouga, il disiat : « Que cesse désormais toute haine entre nos peuples. Dorénavant, vous vous moquerez les uns des autres, mais jamais vous ne vous ferez la guerre».C’était le pacte du Kouroukan Fouga.
C’est dire donc que le rôle des dirigeants est crucial pour affermir les relations entre les populations qui sont sous leur tutelle. Ils doivent, impérativement, reconnaître la valeur du cousinage à plaisanterie comme outil de prévention des conflits, intégrer cette pratique dans les politiques éducatives, culturelles et même juridiques et encourager les médiateurs traditionnels à s’appuyer sur ces mécanismes pour résoudre les différends.
Ils doivent, également, favoriser des initiatives communautaires qui valorisent le dialogue interethnique.
Face aux dérives identitaires et aux fragmentations sociales, le cousinage à plaisanterie est une réponse africaine, authentique et éprouvée. Il appartient à nos dirigeants, mais, aussi, à chaque citoyen, de préserver cette richesse qui fonde le commun vouloir de vie commune, tel que l’a rêvé Soundjata Keïta et comme le vivent encore nos peuples.
Babou Biram Faye