La professionnalisation des enfants talibés est un sujet complexe et très sensible qui touche à des aspects sociaux, économiques, culturels et humanitaires, principalement au Sénégal et dans d’autres pays d’Afrique de l’Ouest où la pratique des dérivations religieuses de l’islam, appelées « daara » (écoles coraniques), est courante. Les enfants talibés sont des élèves qui fréquentent ces écoles sous la tutelle de marabouts (enseignants spirituels). Cependant, dans de nombreux cas, ces enfants, souvent issus de familles pauvres, sont contraints de mendier dans les rues pour subvenir à leurs besoins de base.
Le Contexte et la justification
Les enfants talibés sont souvent envoyés dans ces écoles coraniques pour recevoir une éducation religieuse, mais dans certaines situations, ils finissent par être exploités, travaillant pour le compte de leurs marabouts ou mendiant dans les rues. Cette situation découle souvent de la pauvreté et des inégalités sociales, ainsi que des pratiques religieuses parfois mal interprétées ou abusées. Si certaines écoles coraniques offrent un véritable cadre éducatif et spirituel, d’autres exploitent les enfants, les privant de leur droit à une éducation complète et à une enfance protégée.
La problématique des enfants talibés se réfère à l’idée que certains de ces enfants sont amenés à travailler de manière systématique pour aider à la survie des écoles coraniques ou de leurs familles. Ce phénomène peut prendre plusieurs formes :
- Mendicité organisée :
Beaucoup d’enfants talibés sont contraints de mendier dans les rues, notamment dans les grandes villes comme Dakar ou Touba, pour ramener de l’argent ou des biens aux marabouts. Cette mendicité peut être perçue comme une forme de travail forcé, qui leur empêche d’avoir accès à une éducation formelle et à des opportunités de développement personnel. - Exploitation pour des travaux domestiques ou commerciaux :
Certains enfants talibés sont affectés à des tâches domestiques, comme la cuisine ou le nettoyage, dans les maisons de leurs marabouts ou même d’autres familles. Dans certains cas, ils peuvent être utilisés pour des travaux plus pénibles dans les commerces ou les chantiers. - Instruments de survie économique pour la famille :
En raison de la pauvreté et de l’incapacité de certaines familles à subvenir aux besoins de leurs enfants, les marabouts exploitent parfois les enfants talibés comme moyens de subsistance. Ils sont considérés comme un moyen de gagner de l’argent, que ce soit à travers la mendicité ou les tâches subalternes qu’ils effectuent.
Ces pratiques ont plusieurs conséquences sociales et humaines graves sur les enfants :
- Violation des droits de l’enfant :
Les enfants talibés, dans de nombreux cas, sont privés de leurs droits fondamentaux, notamment le droit à une éducation de qualité, à la santé, à un environnement de travail digne et à la protection contre l’exploitation. Leur situation les empêche de se développer de manière harmonieuse, tant sur le plan physique que mental. - Exploitation économique et sociale :
L’exploitation des enfants dans les écoles coraniques entraîne une forme d’exploitation économique et sociale, où ces enfants travaillent souvent dans des conditions de vie précaires et difficiles. Ils sont souvent maltraités, mal nourris, et vivent dans des conditions insalubres, ce qui nuit à leur santé et à leur bien-être. - Reproduction des inégalités sociales :
En étant privés d’une éducation formelle et de la possibilité d’améliorer leur condition de vie, les enfants talibés se retrouvent souvent piégés dans un cycle de pauvreté qui se transmet d’une génération à l’autre. Cette situation accentue les inégalités sociales et limite les opportunités d’ascension sociale pour ces jeunes. - Impact sur le développement psychologique :
La pression de la mendicité ou des travaux forcés peut avoir un impact dévastateur sur la psychologie des enfants talibés. Beaucoup d’entre eux souffrent de stress, de dépression et de traumatismes, notamment lorsqu’ils sont soumis à la violence physique ou émotionnelle de la part de leurs marabouts ou d’autres adultes.
Les Efforts de Réforme et les Initiatives
Des initiatives ont été prises pour améliorer la situation des enfants talibés et éviter leur exploitation :
- Législation et réformes gouvernementales :
Le gouvernement sénégalais, en collaboration avec des organisations internationales et des ONG, a entrepris de nombreuses réformes pour protéger les enfants talibés. En 2010, la Loi n° 2010-15 a été adoptée pour interdire la mendicité des enfants dans le pays. Cependant, l’application de cette loi reste un défi. - Programmes d’éducation alternative :
Des initiatives d’éducation alternative sont mises en place pour offrir aux enfants talibés une éducation de qualité dans un environnement sûr. Certaines ONG et associations travaillent avec des marabouts pour réformer l’éducation dans les écoles coraniques et offrir un enseignement académique tout en préservant l’enseignement religieux. - Sensibilisation des communautés et des marabouts :
Des campagnes de sensibilisation sont menées pour aider les marabouts et les familles à comprendre les conséquences de l’exploitation des enfants talibés. L’objectif est de promouvoir un modèle d’éducation coranique plus respectueux des droits de l’enfant. - Soutien psychologique et réinsertion sociale :
Des programmes de réinsertion sociale et de soutien psychologique sont également proposés aux enfants talibés, pour leur offrir une chance de reconstruire leur vie et de quitter la mendicité ou l’exploitation.
La problématique des enfants talibés représente une violation grave de leurs droits fondamentaux et un problème complexe qui nécessite des solutions multiples et globales. Pour remédier à ce phénomène, il est essentiel de renforcer les efforts législatifs, de promouvoir des alternatives d’éducation et de sensibiliser davantage les communautés et les marabouts à l’importance du respect des droits des enfants. Cela nécessite une action coordonnée entre les autorités locales, les organisations non gouvernementales et les communautés elles-mêmes.
En effet, la professionnalisation des enfants talibés représente un défi majeur pour les autorités, les organisations non gouvernementales (ONG), et la société dans son ensemble. Afin de répondre à ce problème, plusieurs solutions peuvent être envisagées pour protéger ces enfants, leur offrir des opportunités de développement, et leur garantir leurs droits fondamentaux. Ces solutions doivent être globales, impliquant à la fois des mesures législatives, éducatives, sociales et communautaires.
- Renforcement de la législation et de l’application des lois
- Interdiction de la mendicité des enfants : Les gouvernements, comme celui du Sénégal, doivent renforcer l’application des lois interdisant la mendicité des enfants. Bien que des lois existent déjà (par exemple, la loi n° 2010-15 interdisant la mendicité des enfants), leur mise en œuvre reste insuffisante. Des mécanismes de contrôle plus rigoureux et des sanctions plus strictes pour les marabouts qui exploitent les enfants doivent être instaurés.
- Renforcement de la protection juridique : Les autorités doivent offrir une protection légale plus forte contre l’exploitation des enfants talibés, en veillant à leur prise en charge par les services sociaux en cas de violation de leurs droits.
- Réforme des écoles coraniques (daaras)
- Éducation coranique et académique combinées : Encourager une réforme des daaras en offrant une éducation académique en parallèle de l’enseignement religieux. Cela pourrait permettre aux enfants talibés d’acquérir des compétences scolaires de base (lire, écrire, compter) tout en apprenant la religion. Cette approche pourrait être mise en place en partenariat avec des experts en éducation et des associations religieuses.
- Formation des marabouts : Les marabouts, qui sont les responsables des écoles coraniques, doivent être formés aux principes de l’éducation moderne et des droits des enfants. Sensibiliser ces éducateurs à la nécessité d’un cadre scolaire respectueux des droits de l’enfant est crucial.
- Programmes éducatifs alternatifs et inclusifs
- Éducation de qualité pour tous : Mettre en place des programmes d’éducation alternative, notamment dans les zones où la pauvreté et l’absence d’infrastructures scolaires empêchent l’accès à une éducation formelle. Ces programmes devraient être adaptés aux besoins des enfants talibés, en intégrant une dimension à la fois religieuse et académique.
- Accès à l’école publique : Rendre l’accès à l’éducation publique gratuit et accessible à tous les enfants, y compris les talibés, en éliminant les frais scolaires et en fournissant des ressources pédagogiques suffisantes.
- Réinsertion sociale et soutien psychologique
- Accompagnement psychologique : Les enfants talibés, souvent victimes de traumatismes dus à la mendicité ou à l’exploitation, ont besoin de soutien psychologique. Des programmes d’accompagnement thérapeutique peuvent les aider à surmonter les traumatismes et à reconstruire leur identité.
- Réinsertion socio-économique : Offrir des programmes d’insertion professionnelle adaptés à ces enfants une fois qu’ils ont quitté les daaras, pour leur permettre de s’intégrer dans la société, d’acqué…
- Dialogue avec les marabouts : Un dialogue continu avec les marabouts est essentiel pour sensibiliser à la nécessité de protéger les enfants talibés. Il est important que ces derniers soient convaincus de l’importance de respecter les droits des enfants tout en continuant à leur enseigner la religion.
- Création de centres d’accueil et de réhabilitation
- Centres d’accueil pour enfants talibés : Des centres d’accueil peuvent être créés pour accueillir les enfants talibés qui ont été récupérés de la mendicité ou de l’exploitation. Ces centres doivent offrir une éducation de qualité, des soins médicaux, une protection juridique et un soutien psychosocial.
- Programmes de réintégration familiale : Après une prise en charge, les enfants talibés doivent être réintégrés dans leurs familles ou placés dans des familles d’accueil. Un suivi doit être effectué pour s’assurer qu’ils ne retournent pas à la mendicité ou à l’exploitation.
- Partenariats avec les ONG et la société civile…
- Collaboration avec les ONG : Les ONG et organisations internationales peuvent jouer un rôle crucial en soutenant des projets de réinsertion et d’éducation. Ces organisations peuvent également fournir des financements et des ressources pour aider à la mise en place de réformes dans les écoles coraniques et pour accompagner les marabouts.
- Soutien des organisations religieuses : Les associations religieuses, en particulier les Sufi, peuvent jouer un rôle important dans le changement de mentalités et l’accompagnement des marabouts dans une éducation plus respectueuse des droits de l’enfant.
- Renforcement de la solidarité sociale et de l’engagement citoyen
- Mobilisation des acteurs locaux : Les leaders communautaires, les autorités locales et les citoyens peuvent s’impliquer dans la lutte contre l’exploitation des enfants talibés en les soutenant par des actions concrètes : programmes de parrainage, création d’espaces d’apprentissage alternatifs, etc.
- Encouragement de la solidarité : Sensibiliser les citoyens à ne pas soutenir la mendicité des enfants en ne leur donnant pas de l’argent ou des biens peut réduire la demande pour cette forme de travail. De même, promouvoir des solutions de solidarité pour aider les enfants talibés à accéder à une éducation décente est un pas vers la fin de leur exploitation. La mise en place de réformes éducatives, la sensibilisation des marabouts et des familles, et la protection des enfants sont des étapes clés pour garantir que ces enfants puissent bénéficier de leurs droits fondamentaux et d’une vie meilleure. Une approche intégrée et collaborative, impliquant les autorités, les ONG, les communautés et les marabouts, est essentielle pour faire face à ce défi complexe et assurer l’avenir de ces enfants.
Les avantages de la professionnalisation des enfants talibé
Le terme « professionnalisation des enfants talibés » est un sujet très délicat et controversé. Traditionnellement, les enfants talibés sont des enfants envoyés dans des écoles coraniques (les daaras) pour y recevoir une éducation religieuse. Cependant, dans de nombreuses situations, ces enfants sont soumis à des conditions de vie précaires, étant forcés de mendier dans les rues ou d’effectuer des travaux dans des conditions d’exploitation, ce qui entraîne une violation de leurs droits fondamentaux.
La « professionnalisation » des enfants talibés dans ce contexte fait souvent référence à leur travail forcé et à leur exploitation plutôt qu’à une forme de travail éducatif, comme des formations professionnelles qui pourraient améliorer leurs vies et les sortir du cycle de pauvreté. Dans ce sens, il est difficile de parler de « bénéfices » ou d’avantages dans la professionnalisation des enfants talibés, car il s’agit d’une forme d’exploitation plutôt que de développement ou d’autonomisation. Cependant, si l’on se tourne vers un modèle positif de professionnalisation, comme un apprentissage dans des métiers dignes et respectueux des droits des enfants, on pourrait imaginer certains avantages potentiels, mais ceux-ci doivent être bien encadrés.
- Accès à une formation professionnelle légale
Dans une approche qui viserait à offrir des compétences pratiques et professionnelles aux enfants talibés dans un cadre éducatif structuré, il est possible d’envisager des avantages à condition que cela se fasse dans un environnement respectueux des droits de l’enfant. Par exemple, un apprentissage dans des métiers comme la menuiserie, la couture, la mécanique, ou d’autres métiers artisanaux pourrait offrir aux enfants talibés un avenir plus stable et une source de revenus durables.
- Amélioration des compétences : Ces enfants pourraient acquérir des compétences techniques pratiques qui leur permettraient de gagner leur vie de manière digne, de sortir de la pauvreté et de contribuer à la société.
- Intégration dans le marché du travail : Avec une formation professionnelle, ces enfants seraient mieux préparés à intégrer le marché du travail, ce qui pourrait améliorer leur autonomie économique.
- Sortir de la mendicité
Si la « professionnalisation » des enfants talibés est envisagée comme un moyen de les sortir de la mendicité dans des conditions d’exploitation, cela pourrait leur offrir une alternative qui leur permet de subvenir à leurs besoins sans recourir à des pratiques qui les exposent à la violence et à la stigmatisation.
- Dignité retrouvée : Au lieu de mendier, les enfants pourraient travailler dans un environnement structuré et sécurisé, leur offrant une chance de vivre avec plus de dignité et de respect.
- Stabilité financière : En recevant une formation et en trouvant un emploi, ces enfants pourraient améliorer leur situation économique, ce qui leur permettrait de soutenir leur famille de manière plus stable.
- Prévention des abus et de l’exploitation
Dans un cadre contrôlé et légitime de professionnalisation, les enfants talibés ne seraient pas exposés aux abus fréquents qu’ils subissent actuellement dans le cadre de la mendicité forcée. Cela pourrait inclure des abus physiques, psychologiques et sexuels, ou des conditions de travail dangereuses.
- Protection contre l’exploitation : Un cadre légal et bien structuré pourrait réduire les abus auxquels sont confrontés ces enfants et leur offrir un environnement sécurisé.
- Surveillance et suivi : Si les enfants sont inscrits dans des programmes d’apprentissage professionnels, il y aurait un suivi régulier de leurs conditions de travail et de leur bien-être, garantissant ainsi leur protection.
- Accès à l’éducation et à une meilleure qualité de vie
Un apprentissage professionnel digne pourrait également permettre aux enfants talibés de combiner une éducation académique et une éducation professionnelle, en améliorant leurs connaissances tout en acquérant des compétences pratiques. Cela pourrait leur permettre de mieux s’intégrer dans la société et de mieux répondre à leurs besoins fondamentaux.
- Accès à l’éducation : En combinant un apprentissage professionnel et une scolarité de base, ces enfants pourraient améliorer leur niveau d’éducation, ouvrant ainsi des portes pour un avenir meilleur.
- Épanouissement personnel : Acquérir des compétences et voir des progrès dans leur travail pourrait améliorer leur estime de soi et leur bien-être général.
- Renforcement des capacités communautaires
Dans certains cas, la professionnalisation des enfants talibés pourrait avoir des avantages pour les communautés dans lesquelles ils vivent. En apprenant un métier et en contribuant à l’économie locale, ces enfants pourraient aider à développer des secteurs économiques locaux, comme l’artisanat, l’agriculture ou d’autres industries spécifiques.
- Contribution à la communauté : Une fois formés, ces enfants pourraient utiliser leurs compétences pour aider à soutenir leurs familles et leurs communautés, ce qui pourrait avoir un impact positif sur les économies locales.
- Renforcement des relations sociales : La professionnalisation des enfants dans un cadre de travail respectueux pourrait également renforcer les liens sociaux dans la communauté, avec des enfants devenant des membres productifs de la société.
Bien que certains avantages théoriques puissent être imaginés pour la « professionnalisation » des enfants talibés dans des conditions respectueuses de leurs droits, il est crucial de rappeler que dans la majorité des cas, la situation des enfants talibés représente une forme d’exploitation. La mendicité forcée et le travail non rémunéré dans des conditions précaires sont des violations des droits de l’enfant. Par conséquent, au lieu de promouvoir la « professionnalisation » dans des conditions d’exploitation, il est nécessaire de privilégier des réformes profondes dans l’éducation, la législation, et les pratiques communautaires pour protéger ces enfants et leur garantir une véritable éducation de qualité et un environnement de travail décent. Une véritable professionnalisation, dans ce sens, doit passer par la formation professionnelle légale, l’intégration dans le système éducatif et des initiatives de protection des droits des enfants.
Mamadou Thiaw
Professeur d’anglais
Chargé de la communication du mouvement pour la citoyenneté et l’émergence du Sénégal ( MO.C..E.S)