PAR GUIMAR DIOP
Dans les annales des légendes chinoises, l’histoire de Hua Mulan, immortalisée par un poème de la dynastie Wei, raconte l’épopée d’une jeune fille qui, par amour pour son père et devoir envers sa patrie, revêt l’armure et prend sa place sur le champ de bataille. En Sénégambie, cette histoire n’est pas une légende, ni un simple récit mythologique transmis à travers les âges. Elle est réalité. Elle porte un nom : Lingeer Ngóone Latiir Issa Ténd Faal.
Fille du Dammeel-Teeñ Latiir Ngóone Jèey Faal, surnommé Lat Soukabe Ngóone Jèey, elle grandit dans un monde marqué par les luttes incessantes contre les razzias des Maures, notamment les Trarza et les Brakna, qui semaient la terreur dans les royaumes environnants : Waalo, Fouta, Kajoor, Bawal, etc. aucun n’était épargné. Ces incursions n’étaient pas de simples attaques militaires ; elles étaient des entreprises d’asservissement. Les royaumes Wolof (Jolof, Kajoor, Waalo,Bawal) résistaient avec acharnement, refusant de plier sous le joug des esclavagistes maures.
C’est ainsi que Soxna Faati Mbacké, sœur cadette de Serigne Touba, fille de Mame Moor Anta Sali Mbacké et de Maam Diarra Busso, fut capturée à l’âge d’environ 9 ou 10 ans lors de l’une de ces razzias au Bawal Dèmba Gëy. Les royaumes Wolof, las de ces agressions répétées, décidèrent de répondre par les armes. Dans ce cas précis, le Kajoor. Des siècles plus tard, au XIXe siècle, le Waalo fit de même lors de la bataille de Jalawalli, où il vainquit les Trarza et leurs alliés.
Alors que le Dammeel, père de Lingeer Ngóone Latiir Issa Ténd Faal, se remettait difficilement de blessures reçues lors d’une bataille précédente, une décision extraordinaire fut prise. Sa fille, qui lui ressemblait trait pour trait, prit sa place.
Revêtue des atours de son père, montée sur son cheval « Jenn Waay », elle se lança dans la bataille de Ngangaram à la tête de l’armée du Kajoor. Au départ, nul ne se doutait qu’il s’agissait du Dammeel. Seul son père connaissait le secret. Et dans le respect de cette confidence, le cheval changea de nom pour devenir « Ndeyal Néeg », un nom porteur du secret partagé entre le Dammeel et sa fille.
Ce jour-là, Lingeer Ngóone Latiir Issa Ténd Faal mena son peuple à la victoire, repoussant les Maures esclavagistes avec une bravoure et une détermination qui allaient inscrire son nom dans la mémoire collective des Wolof de Sénégambie et de Mauritanie.
Son héroïsme rappelle celui d’autres figures féminines Wolof qui ont marqué l’histoire. Lingeer Fatim Yamar Xuriyaay Anta Jóob Mbooj, mère de Lingeer Ndaté Yàlla Mbooj et de Lingeer Njëmbët Mbooj, fut l’une de ces femmes d’exception. Fari Gaye, tout comme les courageuses femmes de Ndeer, incarna cette même flamme indomptable, préférant la mort à l’esclavage. Ces héroïnes firent le choix ultime : celui du sacrifice collectif, s’immolant plutôt que de tomber entre les mains des Brakna, des Trarza et de leurs alliés.
L’histoire de Lingeer Ngóone Latiir Issa Ténd Faal n’est pas seulement une leçon de courage et de résilience. Elle est une ode à l’héroïsme féminin Africain, une preuve éclatante que nos terres ont enfanté des guerrières d’exception, bien avant que l’histoire ne glorifie ailleurs des figures semblables.
Il est temps que le cinéma Sénégalais s’empare de cette histoire, qu’il lui donne une voix, une image, une lumière à la hauteur de sa grandeur. Comme Mulan est célébrée à travers le monde, Lingeer Ngóone Latiir Issa Ténd Faal mérite d’être honorée et immortalisée, pour que chaque jeune fille sache qu’elle descend d’une lignée de combattantes, et que le courage coule dans son sang.
Que son nom résonne à jamais dans la mémoire des peuples de Sénégambie. Lingeer Ngóone Latiir Issa Ténd Faal, la Mulan d’Afrique, l’héroïne du Kajoor.