Dans le grand spectacle de la gouvernance, certaines lois cherchent à apaiser, réconcilier et construire. Mais d’autres transforment les institutions en un véritable théâtre de l’absurde. La proposition de loi interprétative de l’amnistie du 13 mars 2024 appartient sans conteste à cette seconde catégorie. Loin de clarifier, elle jongle avec la vérité, créant une version alternative de la réalité, où les principes républicains deviennent des accessoires de scène.
Est-ce de l’ingéniosité ou du cynisme ? Comme le rappelle le Coran : « Certes, Allah vous commande de rendre les dépôts à leurs ayants droit, et de juger avec équité entre les gens. » Une injonction limpide, mais ici éclipsée par des intérêts partisans.
Benjamin Franklin disait : « La justice ne sera servie que lorsque ceux qui ne sont pas affectés seront aussi indignés que ceux qui le sont. » Tant que l’indignation collective demeure absente, les dérives institutionnelles continueront à peser lourdement sur les plus vulnérables.
Une justice sélective et des responsabilités détournées
La loi interprétative de l’amnistie, portée par le député Amadou Bâ de Pastef, oscille entre calculs politiques et justice partielle. Elle détourne l’amnistie de sa mission initiale : guérir les blessures nationales et établir une réconciliation authentique.

Sous prétexte de motivations politiques, certains échappent à leurs responsabilités, tandis que les Forces de défense et de sécurité, pourtant essentielles à la préservation de notre souveraineté, sont injustement désignées à comparaître. Leur rôle héroïque mérite reconnaissance, pas condamnation.
Mais l’injustice, où qu’elle se produise, reste une menace pour la justice partout ailleurs, comme le disait Martin Luther King Jr. Cette vérité universelle résonne ici avec gravité. Car dans cette stratégie de pardon sélectif, ce ne sont pas seulement les institutions qui vacillent, mais les principes fondamentaux mêmes sur lesquels repose notre République.
Pendant ce temps, ceux qui ont semé la terreur et infligé des traumatismes échappent à la justice, envoyant un message effarant : invoquez une motivation politique, et le pardon vous sera accordé. Une telle dérive compromet directement l’intégrité et la crédibilité de nos institutions.
Ainsi, cette loi, sous des apparences trompeuses de réconciliation, ne répare pas les torts et n’efface pas les traumatismes. Elle illustre une ambition démesurée à manipuler le passé pour servir des intérêts partisans, aux dépens de la vérité et de la justice.
Une loi d’amnistie ou un chef-d’œuvre de jonglerie politique ?
Présentée comme un outil de réconciliation, la loi d’amnistie de 2024 s’est révélée être un véritable exercice de prestidigitation législative. Derrière les promesses d’apaisement, elle établit un précédent dangereux : pardonner des actes destructeurs sous prétexte de motivations politiques. En transformant la justice, pilier républicain, en un instrument de manipulation, elle altère profondément la perception de l’équité.
Et comme si cela ne suffisait pas, les fameux mécanismes juridiques censés offrir des réparations – l’Agence judiciaire de l’État (AJE) et la Cour suprême – peinent à convaincre. En théorie, ils promettent justice. En pratique, ils ressemblent davantage à un marathon administratif où les victimes courent après des réponses qui n’arrivent jamais.
Ajoutez à cela les 5 milliards de FCFA mobilisés pour indemniser les victimes. Enfin, « victimes » est un bien grand mot, puisque seuls les « combattants » du projet semblent en avoir bénéficié. Les véritables victimes ? Toujours dans l’attente, pendant que les fuites de « pastalibés » frustrés nous éclairent sur l’opacité de cette mascarade.
Face à la montée des critiques, Amadou Ba, député de Pastef, a tenté de calmer le jeu avec un amendement de dernière minute. Celui-ci exclut les crimes graves – meurtres, assassinats, actes de torture – du champ d’application de l’amnistie. Une clarification qui arrive tard, trop tard, et qui soulève une question : qui décide de ce qui est « exclusivement politique » ?
En somme, cette loi, sous ses apparences trompeuses de réconciliation, ressemble davantage à une invitation à récidiver qu’à une véritable avancée législative. Entre cynisme et calculs politiques, elle illustre une ambition démesurée à manipuler le passé pour servir des intérêts partisans, aux dépens de la vérité et de la justice.
Une République en suspens : silence, divisions et justice bafouée
Alors que la loi d’amnistie de 2024 divise, une partie de l’élite intellectuelle et de la société civile reste étrangement silencieuse. Ce mutisme contraste avec l’indignation des citoyens, témoins impuissants d’une justice instrumentalisée. Le pardon, noble en essence, devient ici une trahison : il privilégie certains, enterre des responsabilités et fragilise les valeurs républicaines.
Le Colonel Sankum Faty, ancien officier de gendarmerie, dénonce cette tentative de « clarification » législative comme une manœuvre politique. Selon lui, la loi est claire et ne nécessite aucune révision. Cette instrumentalisation, avertit-il, sape la justice et menace la démocratie. Me Aissata Tall Sall, ancienne ministre de la Justice, renchérit en rappelant les principes fondamentaux du droit constitutionnel : l’intangibilité des droits acquis et la non-rétroactivité des lois.
Et pourtant, cette loi ne s’arrête pas là. Avec une récompense de 5 milliards de FCFA déjà attribuée à leurs leurs fervents « combattants », le régime semble avoir trouvé un moyen de galvaniser plus ses troupes. Ces derniers, désormais mieux équipés, seront d’attaque pour défendre le régime avec ferveur, notamment lors des prochaines échéances électorales : les locales de 2027 et la présidentielle de 2029. Ce financement, sous couvert d’indemnisation pour les pastalibés, pourrait bien se transformer en une arme politique redoutable, renforçant les divisions et compromettant davantage la confiance des citoyens envers leurs institutions.
Cette nouvelle donne, loin de réconcilier, risque d’avoir des conséquences désastreuses dans le moyen et le long termes. Le projet de BA pourrait bien ébranler les fondements mêmes de la démocratie sénégalaise.
Le réveil tardif du mouvement « Y’en a marre »
Après des années d’absence, le mouvement Y’en a marre fait un retour remarqué au moment critique où le pays traverse une crise sociale et politique. Cyrille Touré, alias Thiat, porte-parole du mouvement, dénonce une trahison des promesses faites par ceux au pouvoir, notamment Pastef et son député Amadou Ba.
« Lors de leur campagne, ils avaient promis une abrogation. Aujourd’hui, Pastef nous propose une loi interprétative. Qu’ils nous respectent ! »
Thiat rappelle les tragédies associées à la loi initiale : pertes humaines, destructions massives, et familles laissées dans l’attente d’une reconnaissance ou d’une justice. Pour lui, cette loi interprétative est un affront à la mémoire collective : « Nous ne sommes pas amnésiques. Sachez-le. Cette loi doit sauter. »
Ce retour suscite toutefois des interrogations : pourquoi ce silence prolongé ? Est-ce une stratégie pour regagner leur pertinence, ou une véritable reprise d’engagement citoyen ?
Bien que tardif, ce réveil offre au mouvement l’opportunité de rallier les citoyens en quête de justice et de vérité. Mais le défi reste de prouver que Y’en a marre est toujours en phase avec les attentes actuelles. L’histoire jugera si ce retour marquera un nouveau départ ou le dernier acte d’un acteur en déclin.
Pour une République réconciliée avec ses valeurs et ses citoyens
L’histoire nous offre un exemple puissant en la personne de Nelson Mandela. À la fin de l’apartheid, Mandela a choisi de brandir le pardon comme un outil de réconciliation nationale, élevant l’Afrique du Sud au rang de nation arc-en-ciel. Ce choix, loin d’être une faiblesse, était une démonstration de force morale et de vision politique. Il a compris que la vérité, la justice et le pardon étaient les piliers indispensables pour bâtir une société unie et tournée vers l’avenir.
Le chemin vers une République réconciliée est ardu, mais il est nécessaire. Il appartient à chaque citoyen, à chaque leader, de porter cette exigence avec détermination. Car c’est dans cette quête de vérité et de justice que réside l’avenir d’un Sénégal uni, fort et digne de ses valeurs.
Que Dieu bénisse le Sénégal. Que la paix des cœurs guide nos pas et éclaire nos décisions.
Dr Papa D. FAYE, Citoyen engagé
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