Il était de ces hommes rares dont le nom suffit à évoquer l’engagement, la rigueur morale, et une intransigeance légendaire face à l’injustice. Un an après sa disparition, Mademba Sock reste une figure tutélaire du syndicalisme sénégalais, un repère pour plusieurs générations de travailleurs.
Il avait osé défier l’ordre établi, électrocuté — sans jeu de mots — les certitudes des puissants, qu’ils soient du pouvoir ou des bailleurs de fonds. Toujours droit dans ses bottes, toujours fidèle à ses principes, il brava les interdits pour défendre la dignité des travailleurs, quitte à plonger le pays dans le noir. Pour lui, la lumière était un droit. Il s’appelait Mademba Sock, mais tout le monde l’appelait simplement « Ngagne ».
Le 23 avril 2024, une semaine avant la fête du Travail, malgré une santé déjà déclinante, il se tient droit, élégant, face au président fraîchement élu, Bassirou Diomaye Faye. Ce jour-là, encore une fois, il a porté haut « la voix de la vérité ». Quelques jours plus tard, il apparaît le 1er mai, le visage marqué, mais toujours combatif. Puis il s’envole pour la France pour des soins. Mademba Sock s’éteint dans la nuit du 14 au 15 juin 2024. Il est inhumé à Dakar le 20 juin, au cimetière musulman de Yoff.
Né le 16 août 1951 à Louga, fils de Mor Sock et Thilal Diop, Mademba a très tôt été bercé par les valeurs de droiture. Toute sa carrière, il l’a accomplie à la Senelec, où il s’est fait remarquer par une allergie viscérale à l’injustice.
En 1979, lors d’une assemblée générale à la Senelec présidée par Madia Diop de la CNTS, il s’impose pour la première fois en public, remettant la plateforme revendicative des travailleurs. Très vite, il quitte le Syntes, jugé trop docile, pour co-fonder le SUTELEC avec Oumar Ba, Malick Diallo et Babacar Cissé.
En 1990, le SUTELEC lance sa première grève, une démonstration de force qui le propulse au-devant de la scène syndicale. Fort de ce succès, et dans la foulée des luttes du SAES, naît l’UNSAS, dont Mademba devient le premier secrétaire général le 1er avril 1991.
Intellectuel respecté, amoureux de l’université, il croyait fermement que « la lumière est vie ». En 1997, lors du bras de fer autour de la privatisation de la Senelec, il entre dans l’histoire : grèves massives, coupures de courant, tension à son comble. Mademba est arrêté, jugé, condamné à six mois de prison. Il en sort le 22 janvier 1999, licencié avec 25 camarades.
Candidat à la présidentielle de 2000, il récolte 1 % des voix. Un score modeste, mais un symbole fort de son indépendance d’esprit. Le président Wade réhabilite ensuite les syndicalistes licenciés et nomme Mademba Sock président du conseil d’administration de l’ASER. Il marquera également son passage à l’IPRES et à la Caisse de Sécurité Sociale, où il reste une figure respectée.
Son influence dépasse les frontières du Sénégal. Dans les négociations entre l’État et les syndicats, il était une voix écoutée, redoutée et souvent décisive.
Derrière le militant inflexible, il y avait un père tendre. Chaque 16 août, jour de son anniversaire, il réunissait sa famille dans une chaleur inégalée. Il aimait être entouré de ses enfants, loin du tumulte syndical.
Le drame de sa vie restera la perte de son fils aîné, Bassirou Sock, aux États-Unis. Mais jamais, en public, il ne laissa transparaître la brèche dans son armure.
Peu le savent, mais Mademba Sock était aussi un excellent footballeur. Ses gestes techniques, racontés avec admiration par ses proches, ont marqué sa jeunesse et même son âge adulte.
« Ngagne », c’était un bâtisseur, un homme de consensus et d’écoute, mais jamais de compromission. Son syndicalisme était celui des valeurs, de la constance, de la clarté. Pour beaucoup, il a pavé la voie d’un syndicalisme libre, indépendant et respectueux des voix divergentes.
Le 7 janvier, à Pikine, lors de la cérémonie de baptême de l’agence de la Caisse de Sécurité Sociale en son nom, l’émotion était à son comble. Yvette Diop Keïta, secrétaire générale de l’UNSAS, fond en larmes : «C’était un roc, une étoile qui ne s’éteindra jamais dans nos cœurs. »
Et c’est vrai. Mademba Sock reste. Il habite la mémoire collective du Sénégal. Il est cette lumière indocile qu’aucune nuit ne pourra éteindre.