Le discours a été ciselé dans les ateliers feutrés de la communication gouvernementale. Objectif affiché par le tandem Diomaye-Sonko : «Permettre aux populations sénégalaises de s’approprier le Pacte national de stabilité sociale » (PNSS-CID). Derrière cette formule lisse se cache un véritable projet de société, présenté comme le levier ultime d’une cohésion nationale durable. Rien que ça.
C’était hier, dans l’un de ces hôtels de Dakar où les mots pèsent souvent plus que les actes. Autour de la table : des journalistes membres du Réseau des journalistes en dialogue social (REJDIS) des figures de Comités du dialogue social (Universités, Micrifinance, Éducation, SONATEL, SEN EAU, AUCHAN…) et bien sûr, le «brillantissime conférencier» secrétaire exécutif du HCDS Oumar Fall, flanqué de Mamadou Lamine Dianté, le très policé Président du Haut Conseil du Dialogue Social. Ensemble, ils ont échangé informations et éléments de langage, tenté de faire tomber les barrières sémantiques, et surtout, de vendre au public une vision : celle d’un pacte national censé instaurer une stabilité sociale élargie, socle d’une gouvernance éclairée.
Derrière le jargon technocratique se dessine en réalité une ambition politique limpide : huiler les rouages du nouveau référentiel de politique publique, à savoir l’Agenda national de transformation Sénégal 2050, sa version décennale — le Master Plan 2025-2034 — et sa déclinaison quinquennale, la Stratégie nationale de développement 2025-2029. L’architecture est robuste, le discours calibré. Reste un détail : convaincre, encore convaincre…
Une presse sous pression, un pouvoir sous tension
Mais comment espérer «vulgariser» un tel chantier quand les canaux traditionnels d’information sont en panne de légitimité ? Depuis quelques mois, le Sénégal est entré dans une zone de turbulence médiatico-politique. Tensions palpables, méfiance installée, répliques feutrées mais bien réelles : la relation entre le pouvoir et les médias flirte avec l’hostilité larvée.
Il ne s’agit plus d’un simple malentendu passager. Cette crispation s’inscrit dans une longue tradition sénégalaise d’ambivalence entre presse et autorité. Dans ce contexte, l’antique maxime «Qui détient l’information détient le pouvoir » retrouve une vigueur inquiétante. Car derrière le contrôle des faits, c’est bien la maîtrise du récit — et donc de l’opinion — qui est en jeu.
Or, quand les journalistes sont perçus comme partiaux, voire réprimés, et que le gouvernement est soupçonné de manipuler la narration, la frontière entre pédagogie républicaine et propagande déguisée devient d’autant plus floue.

Ce climat délétère infecte la circulation de l’information : d’un côté, les médias indépendants adoptent parfois une posture critique quasi-reflexe, quitte à verser dans la caricature. De l’autre, les médias proches du pouvoir récitent sans sourciller la ligne officielle, sans nuance ni contradiction. Résultat : l’opinion publique navigue entre récits antagonistes, désorientée, méfiante, souvent indifférente.
Mais dans une démocratie sous tension, l’adhésion populaire ne s’impose pas par décret présidentiel. Elle se forge dans la transparence, l’écoute et le débat contradictoire. À ce jeu, le gouvernement gagnerait à abandonner ses réflexes de verrouillage, et les médias à redoubler de rigueur et d’indépendance, mais surtout de qualité.
Car sans un minimum de confiance mutuelle, la promotion du Pacte de stabilité sociale risque de se transformer en simple exercice de communication stérile, superficiel, et foncièrement contre-productif. Ce serait dommage.
C’est là que le Haut Conseil du Dialogue Social entre en scène, avec pour mission délicate de réconcilier le pouvoir et la presse. Il y a quelques semaines, son président, Mamadou Lamine Dianté, recevait Mamadou Ibra Kane, président du Conseil sénégalais des éditeurs et diffuseurs de presse (CDEPS). Celui-ci dans un plaidoyer limpide, a rappelé une évidence trop souvent oubliée : pas de démocratie sans presse libre, et pas de dialogue sincère avec une presse muselée.
Des comptes rendus ont été transmis aux plus hautes sphères de l’État le Président de la République Diomaye Faye en tête, ensuite le Premier ministre Sonko. Reste à savoir s’ils seront lus avec attention… ou classés au rang des dossiers encombrants. MTG