A 70 ans, le lycée Lamine Guèye est le doyen des établissements du Sénégal. Hier, prestigieux lycée très couru des jeunes, aujourd’hui, il peine à reconquérir son lustre d’antan, s’il n’est pas atteint de crise d’hystérie. En attendant de réactualiser le texte pour le centenaire de ce lycée, je vous partage le portrait dressé dans Weekend magazine de mai 2008.
Il est comme une vieille dame édentée et désossée. Le lycée Lamine Guèye, vieille et vile bâtisse de 70 berges, semble porter une toge et un laurier sur son crâne désobstrué. Sa façade centrale porte les stigmates de l’assaut du temps crasseux. Trois écriteaux bleus «Lycée et Lamine Guèye» lui donnent une allure de majesté dans sa robe blanche qui perd de sa couleur. Le bâtiment central, composé de deux étages et d’un rez-de-chaussée, abrite les locaux de l’administration et des classes de Seconde, Terminale. La presque séculaire, usée par le temps, affiche les rides sur tout son corps. Son teint jadis étincelant est étreint par la mesquinerie de sa longévité.
Il pâlit. Son visage est marqué par des cicatrices. Ses vitres sont cassées. Ses classes, une enfilade de couleurs grises lugubres. Hamidou Sow de la Terminale L 1 D sonne l’alerte : «Lamine Guèye se meurt à petit feu.»
Le vieillard Lamine Guèye, aujourd’hui, à l’antichambre de la mort, tient à peine sur ses 5 bâtiments qui font sa fierté. Naguère établissement de prestige, l’ancien lycée Van Vo a la bouille d’un vulgaire anonyme. Lamine Guèye n’est plus Lamine Guèye. II y a longtemps que le parrain est mort. Le lycée aussi. Ou presque.
Aujourd’hui, le corps fatigué de ce vieil homme est sollicité par les élèves (2555 au total: 840 du Cem + 1 715 du lycée) qui lui passent entre les bras dans les 5 portes d’entrée dont dispose le vaste édifice, deux fois plus grand que le stadium lba Mar Diop. Il a eu deux vies dans son existence. II a vu le jour durant l’année scolaire 1923-1924 pour devenir le Cours secondaire de Dakar et reçoit, sans le savoir, le premier président de la République du’ Sénégal indépendant, Léopold Sédar Senghor. Suite au différend l’ayant opposé au Père Lalouse qui voulait faire de lui «Un Français à la peau noire», le père de l’indépendance sénégalaise changea d’établissement et alla décrocher les deux parties du Baccalauréat (français, latin, grec) au «Cours secondaire» officiel et laïc qui allait devenir le lycée Van Vollenhoven, puis le lycée Lamine Guèye.
Vite, vite, les premiers pas de l’enfance du Cours secondaire sont marqués, par une maturité dans son accroissement. Car, en trois ans, une classe de Seconde pousse sur ses flancs en 1924, une de Première en 1925 et une Terminale en 1926. Le jeune homme prend du poids et ses côtes qui s’élargissent font de lui un gaillard à fière allure. Mais, dans sa phase d’adolescence, le Cours secondaire brûle les étapes et compte 14 classes, pour un effectif de 720 élèves. II compte désormais dans l’establishment éducatif où il fait partie des pionniers. A une époque où l’adolescent Cours secondaire présente 41 candidats au Baccalauréat.
Une aubaine pour nombre de jeunes Sénégalais qui espèrent franchir son vaste portail et toucher les cimes de l’ascension sociale. Sur le site actuel au centre du Plateau, Dakar se pare de ses beaux atours et fait du baptême du nouveau lycée en 1939, un événement de taille marqué par le nom peu commun donné au nouveau lycée : Van Vollenhoven. A l’époque, le nouveau-né était d’un teint étincelant, des joues joufflues comme ce pavillon central, un de sciences et d’histoire et qui verra fonctionner, dans la même année, un internat. Van Vollenhoven est un jeune homme aux muscles saillants qui revendique le titre accrocheur de Bon Chic – Bon Genre. Son style de vie et son prestige plaisent dans ses années d’or de l’école post- indépendance, à tous les jeunes de l’époque. Il garde une réputation de prestige, son aura s’agrandit au fil des ans et bien de jeunes Sénégalais de l’époque s’enorgueillissent d’être des élèves de Van-Vo en vogue. «On ne rêvait que de cela. On se plaisait même à draguer les filles, en leur disant que nous étudions à Van Vo. Les parents nous respectaient de savoir que nous étions des élèves», raconte, nostalgique, un ancien du lycée, devenu fonctionnaire retraité de l’Administration.
Van Vollenhoven, jeune homme à l’allure de gentleman, troque son nom contre celui de Lamine Guèye, en 1987. Iba Der Thiam, ministre de l’Education de l’époque, baptise, à gros renfort de discours nationalistes, le nouveau lycée qui porte le nom désormais du 1er Président de l’Assemblée nationale (1891-1968). La partie secondaire composée du «petit quartier» et comportant des classes de la 6e à la 3e, sort de ses flancs, alors que le «grand quartier», avec ses grands élèves et ses gros bâtiments, se mue en lycée de la Seconde à la Terminale.
Lamine Guèye est aujourd’hui un gros vieillard qui porte affreusement son âge : 70 ans. Il tend ses bras flasques à la rue du 18 juin, une vaste avenue serpentée par une route fréquentée par les automobilistes. De son dos rondouillard, le lycée Lamine Guèye reçoit les effluves de l’alizé maritime et les bonnes senteurs de l’hôtel Soxamon. De profil, il effleure la police de Plateau et l’Institution Notre Dame.
Ses 83 classes partagées entre le Cem et le Lycée, sont rongées par le temps et la poussière. La vieillesse et la rouille ont fini d’avoir raison sur ses murs lézardés. Dans leurs blouses rouges, certains de ses élèves, victimes de la mode, semblent regarder de haut ce vieillard aux traits tirés. Ô gros sacrilège ! Lamine Guèye semble perdre le respect de ses propres enfants et son aura s’effrite au sein de sa propre famille. Adeline Pamy, élève en classe de Tle 2 D, teint basané, jean serré, est une fille de son temps, ballottée par le American Way of Life. Elle vitupère contre Lamine Guèye : «On en a marre de voir les murs délabrés de l’école, il faut que les autorités de l’Education respectent cet établissement.» Un ange passe. Le censeur Saliou Diop fait dans la censure. Il dit : «L’établissement va avoir bientôt 70 ans. Donc, cela explique l’état dans lequel il se trouve. Le contraire aurait étonné. Mais, c’est le ministère qui entretient et réfectionne les bâtiments scolaires.»
Si la ceinture blanche mêlée de rose de cet immense vieillard pouvait conter les têtes d’œufs ou têtes de nœuds qu’elle a vu défiler dans les entrailles de l’établissement, le lycée en raconterait bien des bréviaires aux jeunes générations, aujourd’hui obnubilées par les nouvelles technologies et aveuglées de paresse par les Mp3 et autres gadgets technologiques. Abandonnant la lecture et ses bienfaits. Conséquence: les élèves ne sont pas épargnés par le problème de niveau qui secoue le secteur scolaire sénégalais. Déguène Diop, entourée de ses camarades Anna Manga et Adja Dramé, dégaine sans sommation sur le phénomène. «La baisse de niveau s’explique par la paresse des élèves et l’abandon des parents», susurre-t-elle. Alors que son camarade de classe de Terminale enfonce le clou. «C’est un problème de complexe, car maintenant, si on vous voit lire à la récréation, les gens disent de vous que vous faites votre petite carrière. Les élèves veulent que tout le monde manipule son portable et écoute son Mp3», regrette Hamidou Sow en classe de Tle 1 D. La suite, tout le monde le connaît : le lycée ne trône plus lors du Concours général. «Au Sénégal, les gens ne regardent que le Concours général, mais nos résultats dépassent largement la moyenne nationale. Nous avons eu 56 cette année, alors que le niveau national tourne autour de 40 à 45», rectifie le censeur Saliou Diop. Pourtant, Lamine Guèye et ses bâtiments imposants font leur cette devise : «Un esprit sain dans un corps sain.» Car, le vieillard en bétons blancs ne manque pas de regarder ses enfants suer à grosses gouttes sur ses trois terrains de basket, son vaste terrain de football et son terrain de handball. Il y a quelques années, en 2000 -2001, Lamine Guèye était promis à une belle mort par le président de la République, Me Wade qui voulait le délocaliser, dans un contexte de rareté de réserves foncières à Dakar, surtout au Plateau. Mais, devant la levée de boucliers des élèves et des anciens pensionnaires de l’établissement, il avait reculé. Et ce sont les djinns, qui semblent aujourd’hui être en possession des lieux, en s’attaquant aux jeunes filles.
Aujourd’hui, si dans les membres supérieurs de ce grand corps malade, on choisit de s’attaquer au côté lugubre de l’établissement, les responsables du Petit quartier (Cem) cachent mal la réalité des choses et en appellent aux anciens de l’établissement. «Le vrai combat doit être mené par les anciens. Lamine Diack, Général Seck, Djibo Kâ, Landing Savané doivent aider à repeindre l’école et changer l’état lugubre qui règne sur les lieux. Car, il ne fait pas bon d’apprendre dans ces murs décrépis et ces classes lugubres», regrette Hadina Aïdara, le Principal du collège depuis 2004. Lui qui a remplacé le seul principal, David Léopold Traoré qu’a connu le Cem, de 1986 à cette date.
Au grand quartier, le proviseur Georges Seck dirige les destinées du lycée depuis 1998, c’est le sixième Africain proviseur du lycée, après l’ère des Blancs. Aliou Faty (1971-1975), Moustapha Wone (1975-1979), Makhtar Diop (1979-1983), Seyni Niang (1983-1987), Gerard M.J Becker (1987-1998). Sous ses arbres touffus et la sérénité de sa verdure, le lycée Lamine Guèye cache mal sa tare : ses toilettes. «Elles se trouvent dans un état dégueulasse», peste le Président du foyer, Lys Preira. Et puis, l’info de dernière minute, Lamine Guèye serait atteint de crise d’hystérie. Mais il se soigne. Ses traitants : traditionalistes et modernistes.
