Par Babou Biram Faye Journaliste – Analyste politique et économique
Depuis quelque temps, un malaise profond s’installe dans le tissu entrepreneurial sénégalais. Réussir, entreprendre, bâtir patiemment une entreprise crédible et prospère semble devenu une source de suspicion. Il ne fait plus bon, au Sénégal, de s’enrichir honnêtement et dignement, sans appartenir au cercle restreint des soutiens visibles du pouvoir en place.
L’affaire Abdoulaye Sylla, jeune entrepreneur à la tête d’Ecotra, en est une illustration frappante. Ses comptes ont été bloqués sur la base d’accusations qui, au final, n’ont pas résisté à l’examen de la justice. Aujourd’hui, tous ses comptes sont débloqués, sur décision du tribunal de commerce. Il s’agit là d’une réparation partielle, certes, mais qui ne saurait effacer les mois de paralysie, les pertes subies, les centaines d’emplois menacés, ni l’humiliation publique infligée à un citoyen qui, jusque-là, ne demandait qu’à travailler au service de son pays.
Mais, au-delà du cas d’Abdoulaye Sylla, il y a un phénomène plus large, plus inquiétant : de nombreux chefs d’entreprises vivent aujourd’hui dans le désarroi. Certains peinent à faire face à leurs engagements à cause du non-paiement prolongé de leurs factures dues par l’État. D’autres sont acculés par une pression fiscale qui frise l’incompréhensible, avec des redressements et des pénalités difficilement justifiables. L’environnement devient chaque jour plus hostile, plus incertain, plus décourageant.
Oui, il est légitime et même impératif de promouvoir la transparence, de lutter contre la corruption, d’exiger des comptes. Nul ne doit être au-dessus des lois. Mais cette quête de justice doit être équilibrée, fondée sur des preuves irréfutables et conduite avec impartialité. Elle ne saurait justifier un climat de chasse aux sorcières, ni l’acharnement contre des entrepreneurs dont le seul tort serait de ne pas avoir soutenu un « projet » politique précis.
Le Sénégal, nation en quête d’émergence, a besoin de tous ses bâtisseurs. Ceux qui créent de la richesse locale, qui embauchent, qui innovent, qui osent, méritent d’être soutenus et protégés. Les pousser à la faillite par des mesures arbitraires, c’est non seulement tuer des emplois, mais aussi éteindre la flamme de l’initiative et compromettre le tissu économique national.
Le cas Abdoulaye Sylla doit servir de signal d’alerte. Il est temps de poser un débat national sur la place de l’entrepreneuriat dans notre modèle économique, et sur le respect que les pouvoirs publics doivent à ceux qui, chaque jour, participent concrètement à la construction de notre avenir collectif.
Punir les délinquants économiques, oui. Persécuter les entrepreneurs honnêtes, non. L’État souverain ne doit pas devenir un État soupçonneux, qui décourage ceux qui osent croire en leur propre pays.
BBF