Mercredi 11 juin 2025, la délégation des Evêques du Sénégal conduite par Monseigneur André Gueye, Archevêque Métropolitain de Dakar, a remis au Président Bassirou Diomaye Faye un présent d’une portée exceptionnelle : une Kora de Keur Moussa. Mais derrière ce geste qui pourrait paraître simple se cache un message d’une profondeur remarquable sur l’unité, le dialogue et l’identité sénégalaise.
L’audience s’achevait au Palais présidentiel lorsque les Evêques du Sénégal ont présenté au Chef de l’État cette Kora façonnée par les moines de l’abbaye de Keur Moussa. Cependant, loin d’être un geste de courtoisie ordinaire, ce présent révèle, selon les explications éclairantes de Monseigneur Jean-Baptiste Valter Manga, Evêque de Ziguinchor, trois dimensions symboliques majeures. Elles portent en filigrane la vision de l’Église catholique sénégalaise sur le rôle que doit jouer le président dans la construction de l’unité nationale.
Première dimension : l’Église, gardienne des cultures sénégalaises
Pour comprendre la portée de ce geste, il faut d’abord saisir ce que représente cette première signification du cadeau. Comme l’explique Mgr Valter, il s’agit avant tout de « montrer la part active prise par l’Église catholique du Sénégal dans la préservation de nos cultures et le travail d’inculturation depuis la fin du Concile Vatican II ».
Or, cette démarche trouve son illustration la plus parfaite dans l’extraordinaire aventure du monastère de Keur Moussa. Là-bas, depuis plus de soixante ans, les moines bénédictins ont relevé un défi audacieux : allier harmonieusement les répertoires grégoriens aux rythmes africains portés par la kora et le tam-tam. Dès 1964, ces religieux se sont passionnés pour la Kora, cette harpe mandingue, affinant sans cesse la fabrication de l’instrument jusqu’à créer une forme unique d’inculturation liturgique.
Par conséquent, cette œuvre remarquable témoigne de la capacité de l’Église catholique à ne pas s’opposer aux traditions locales, mais plutôt à les enrichir et les sublimer. Ainsi, en remettant cette Kora au Président, les évêques lui rappellent concrètement que l’Église participe pleinement à la sauvegarde et à la valorisation du patrimoine culturel sénégalais.
Deuxième dimension : la symphonie de l’unité nationale
Mais au-delà de cette dimension culturelle, le cadeau revêt également une portée politique et sociale particulièrement forte. En effet, Mgr Manga dévoile encore une métaphore saisissante qui donne tout son sens au choix de cet instrument : « Ce geste à l’endroit du président au lendemain du dialogue national sur notre système politique vise à montrer que c’est à lui de jouer une bonne symphonie avec les diversités de notre pays symbolisées par les 21 cordes de la kora ». Cette comparaison musicale mérite qu’on s’y arrête. De la même manière qu’un musicien virtuose doit harmoniser les différentes cordes de son instrument pour produire une mélodie envoûtante, le Président se voit confier la mission délicate d’orchestrer les multiples diversités du Sénégal pour créer une véritable unité nationale. Comme le souligne avec justesse l’évêque de Ziguinchor : « C’est du dialogue des cordes que découle une belle musique signe d’unité ».
Cette métaphore prend d’ailleurs une résonance toute particulière dans le contexte qui suit le dialogue national récemment organisé. À travers ce geste symbolique, l’Église encourage donc clairement le Chef de l’État à poursuivre cette démarche inclusive, où chaque voix, chaque sensibilité du pays trouve naturellement sa place dans la construction d’un Sénégal uni et prospère.
Troisième dimension : l’héritage des grands empires africains
Enfin, la troisième et dernière signification de ce cadeau puise ses racines dans l’histoire glorieuse de l’Afrique de l’Ouest. Comme le rappelle avec fierté Mgr Jean-Baptiste : « La kora a toujours eu une place de choix dans les cours des empires ouest-africains tel que le Mali ». Cette référence historique n’est nullement fortuite.
En remettant cet instrument au Président, les évêques établissent en réalité une filiation directe entre les grandes traditions politiques africaines et la gouvernance actuelle. Cette évocation des empires du Mali nous transporte vers une époque révolue où la kora accompagnait les décisions des souverains, rythmait la vie des cours royales et sanctifiait les moments les plus solennels de la vie politique.
Dès lors, offrir une Kora au Président Faye, c’est l’inscrire symboliquement dans cette noble lignée de dirigeants africains, conscients de leurs lourdes responsabilités envers leurs peuples et profondément respectueux des traditions séculaires qui font la richesse inestimable du continent africain.
Au terme de cette analyse, il apparaît clairement que la Kora de Keur Moussa remise au Président Faye transcende largement le simple cadre d’un présent diplomatique de circonstance. Bien au contraire, elle se révèle être le vecteur de trois messages profondément complémentaires : d’abord la reconnaissance du travail remarquable d’inculturation mené par l’Église catholique, ensuite l’appel pressant à orchestrer l’unité dans la diversité, et enfin l’inscription dans la noble tradition des grands dirigeants africains.
Plus encore, cet instrument singulier, né de la rencontre féconde entre la spiritualité monastique et la culture mandingue ancestrale, devient aujourd’hui le symbole vivant d’un Sénégal capable de réconcilier harmonieusement tradition et modernité, diversité et unité, foi et culture.
C’est pourquoi, en recevant cette Kora des mains bienveillantes des évêques, le Président Faye hérite simultanément d’un précieux instrument de paix et d’harmonie, mais aussi d’une responsabilité considérable : celle de faire résonner, à travers sa gouvernance quotidienne, la belle musique de l’unité sénégalaise.
Ainsi, la rencontre historique du 11 juin 2025 restera-t-elle marquée par ce geste d’une rare profondeur symbolique, où l’Église catholique du Sénégal a su exprimer, à travers un simple instrument de musique traditionnel, sa vision éclairée d’un leadership authentiquement au service de l’harmonie nationale.