À chaque soupir de Robert Bourgi, figure fossilisée mais toujours influente de la Françafrique, une partie de la presse sénégalaise s’emballe. Tantôt poreuse, tantôt complice, elle relaie sans filtre ses humeurs, comme si elles détenaient une vérité cachée. Mais pourquoi accorde-t-on autant d’écho à cet homme dont les méthodes et les intentions ont souvent été jugées douteuses ? Qu’a-t-il à dire que les Sénégalais ignorent encore ? Rien, sinon un goût prononcé pour l’agitation contrôlée.
Son dernier cri du cœur « J’ai peur… » a été repris avec frénésie. Une angoisse fabriquée, qui s’est répandue comme une traînée de poudre. Ou plutôt, de poudre de perlimpinpin, au service d’un activisme déclinant, masqué sous les habits d’un donneur d’alerte. Derrière cette mise en scène, un dessein : exister encore, à défaut de convaincre.
Dès la première phrase « Je suis jaloux de ma liberté » il se pose en martyr potentiel, victime d’un monde qui ne le comprendrait plus. Un classique du genre. En réalité, comme le dit si bien la sagesse populaire wolof : «day bapp rekk» ( il veut se jouer de nous).
Robert Bourgi est un maître de l’ombre, expert dans l’art de s’infiltrer là où les enjeux se décident. Après le coup d’État au Niger en 2010, il surgit aux côtés de la PDG d’Areva, Anne Lauvergeon, pour dialoguer avec les putschistes. Plus tard, il s’envole secrètement pour l’Iran afin de négocier la libération de Clotilde Reiss avec Karim Wade. Tout cela sans mandat officiel, mais avec une autorité autoproclamée.
En mars 2008, c’est encore lui qui pousse à la démission Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État à la Coopération, coupable d’avoir voulu rompre avec la Françafrique. Un an plus tard, Bockel reconnaîtra avec amertume : «J’ai découvert un personnage attachant et horrifiant.»
Même la diplomatie américaine, dans des câbles révélés par WikiLeaks, ne s’y est pas trompée : un proche conseiller de Sarkozy le décrit comme « un mercenaire préoccupé par son seul confort, un opportuniste notoire ».
Et voilà que maintenant, Bourgi prétend vouloir sauver le Sénégal, s’ériger en sentinelle contre une supposée dérive incarnée par Sonko et Diomaye. Une posture pleine de duplicité. Ces derniers devraient, au contraire, se garder de ses avances. L’homme est généreux, certes… mais à sens unique. On se souvient des costumes de luxe offerts à François Fillon, deux pièces de chez Arnys à 13 000 euros pièce (environ 8 450 000 FCfa), en pleine campagne présidentielle. Une «générosité» qui vaudra à Fillon des explications judiciaires.
Bourgi connaît les couloirs du pouvoir comme personne. Il sait quand frapper, et à qui faire la cour. Mais il sent le souffre. À chaque retour médiatique, il cherche surtout à se rendre visible, à peser encore, à déranger.
Aujourd’hui, il dit craindre pour le Sénégal. Mais ce n’est peut-être pas le Sénégal qui l’inquiète, c’est la perte de son influence. Mis à l’écart en France, il regarde vers Dakar, sa terre natale, espérant y regagner ce qu’il a perdu ailleurs. Musulman chiite, issu d’une famille libanaise fortunée, amateur déclaré de luxe, de femmes et de bonne chère, Robert Bourgi multiplie aujourd’hui les signaux, parfois amicaux, parfois ambigus, en direction des nouveaux visages du pouvoir sénégalais.
Ne nous y trompons pas : sous des allures de sage inquiet, il demeure ce qu’il a toujours été, un homme de coulisses, manipulateur et imprévisible, capable du meilleur comme du pire. Le croire sur parole serait une faute politique. L’ignorer totalement, peut-être une imprudence.