A 68 ans, Alassane Dia, directeur technique de Teungueth Fc est décédé, cette nuit des suites d’une longue maladie. Le technicien a été deux fois champion du Sénégal, en 1996 avec la Sonacos et en 2014 avec l’AS Pikine. Originaire d’une famille modeste, l’homme a toujours gardé un air cool sur les bancs de touche, malgré les enjeux.
Ce matin-là de 2014, avant de le retrouver chez lui à Pikine, malgré les nombreuses sollicitations de la presse, des amis de la grande confrérie du foot qui l’appellent de partout, il n’avait pas dérogé à la règle de son jogging matinal. De garder les pieds sur terre, malgré l’euphorie ambiante. On ne réinvente pas son identité. L’homme n’est pas du genre à fanfaronner, malgré ce sacre historique. «C’est un très grand bonheur pour la ville, la cité, la banlieue : les gens attendaient cela depuis l’époque des Niayes. Il y a une sorte de bonheur très diffus. C’est une fierté personnelle», explique-t-il. Sans en rajouter.
A 68 piges et un parcours de globe-trotter à travers le Sénégal, Alassane Dia ne parle pas, il murmure. Il débite des mots d’une voix posée, trahie parfois par un vrai faux bégaiement. A Pikine, les supporters ultras l’assimilent à l’emblématique ex-manager de Manchester United, Alex Ferguson. Le surnom flatteur qui résonne parfois dans les travées du chaudron de Alassane Djigo ne l’emballe pas. Lui, préfère en rire. Même si comme le Gallois, ses soufflantes sont craintes dans le vestiaire. Mais Alassane Dia est un manager qui bâtit ses relations avec les joueurs sur la confiance. «Je veux que mes joueurs aient confiance au discours que nous leur tenons. J’insiste beaucoup sur ça», philosophe-t-il. Visage en couteau, éternelle casquette vissée sur la tête, l’homme vit dans sa bulle, quand d’autres personnes se prennent la tête pour un rien cassant. Il a un côté quelque peu énigmatique. Chez lui, tout est réglé comme sur du papier à musique. L’homme sait que le diable est dans le détail. Il est capable de se réveiller en sursaut la nuit pour coucher des notes sur son calepin. «C’est un maniaque du détail, il s’occupe du plus petit. Il ne lâche jamais rien, à chaque fois qu’il a une idée en tête, il ne lâche plus rien. Il nous a tous aidés à progresser. Rien que pour cette saison, j’ai pu marquer 14 buts, il m’a vraiment beaucoup apporté», témoigne Adama Mbaye, buteur du club.
Dans sa course effrénée vers le titre prestigieux de champion du Sénégal, une première pour l’As Pikine qui lui ouvre grandement les portes de l’Afrique. C’était déjà en 2014, Alassane Dia, le coach, a essuyé plein de critiques, avalé bien des couleuvres tout au long de la saison. «L’équipe reculerait très vite», «l’entraîneur ne sait rien», selon des ultras. Des salves de commérages qui ont marqué son fils Iba Ndiaye Dia. «Parfois au stade, les gens critiquent sévèrement mon père, mais il nous a appris à être sportifs», marmonne timidement le fils. Malgré les cris d’orfraie de certains supporters qui n’y croyaient plus quand le Jaraaf (45 Pts +15) menait les débats à deux journées de la fin devant l’As Pikine (43 pts+14), Alassane n’a jamais dévié de sa ligne de conduite. Fidèle à sa profession de foi de coach qui laisse couler les sensations de ses joueurs sur le terrain, il a encore rabâché son sempiternel leitmotiv. «Le bon chemin, il est toujours difficile, on ne gagnera pas le titre de champion du Sénégal sur un plateau d’argent», a-t-il répété tout au long de la saison. Cela a fini par payer. Mais Alassane Dia ne saurait être réduit à son travail sur le banc, il a une histoire. Malgré les vicissitudes de la vie, qui ne lui a jamais fait de cadeaux. Originaire d’une famille modeste, l’homme ne s’est jamais écarté de sa route, malgré les embûches.

«Mon père a été à un moment donné éboueur»
L’homme à l’éternelle casquette est un enfant de la banlieue. On est le 5 mars 1953, le Sénégal ne bruit que de la visite du Général De Gaulle, qui foule le sol dakarois. A l’endroit où se trouve l’actuel Crédit Foncier, la famille Dia, déjà gâtée par la naissance de deux garçons, attend un heureux événement. Mais la délivrance va arriver le 15 novembre 1953. L’enfant porte le nom de Alassane Dia. Le père qui vit de petits commerces, est un adepte du système D. Mais il ne croit qu’aux valeurs du travail et ne rechigne pas à faire toutes sortes de boulots, pourvu que sa famille vive décemment. Quand il raconte ce pan de sa vie, Alassane Dia, pas complexé pour un sou, évoque les menus travaux de son pater. «Mon père a été à un moment donné éboueur, mais cela ne l’a pas empêché de donner une bonne éducation à ses enfants», sourit-il fier. La fratrie de la famille Dia est composée de cinq garçons. A la suite des reclassements de Dakar, toute la famille rejoint Pikine. Naguère vaste forêt nue. A l’âge de 7 ans, le jeune Alassane Dia entre à l’école de l’unité 4 de Pikine où élève reclus sur lui-même, il mène ses études avec brio jusqu’en classe de Cm2. Mais à chaque vacance, il est confié à une famille bambara habitant Colobane. La dame Awa Bâ et le vieux Cissokho s’occupent du jeune Alassane Dia comme de leur fils. «Ma propension à être toujours calme vient de là, c’est une famille très rigoureuse, qui abhorrait les futilités», lâche-t-il, sans se démonter. Quand il réussit à décrocher son certificat d’études et son entrée en sixième, il est orienté tout naturellement au lycée Blaise Diagne. A chaque fois qu’il descend à Pikine, il joue aux billes et court derrière le ballon. Il faut dire que le jeune homme est doté d’une bonne patte gauche, capable de dribbler tous ses amis lors des séances «P’tit Camp». Mais à chaque fois que l’école reprend ses droits, le jeune Alassane se terre pour dévorer ses cours goulument. A ce rythme, il décroche son Brevet d’études du Premier cycle (Bepc, équivalent de l’actuel Bfem). Tout le quartier de l’Asc Espoir devenu Ndam, l’invite à se consacrer au ballon rond, mais lui refuse de céder à la tentation de l’argent facile, il privilégie les études, rejoint Mbour où il est orienté comme élève instituteur à l’Ecole Normale de Mbour. Ironie du sort, son chemin croise celui de Ablaye Sarr, le coach du Jaraaf, qui lui disputait le titre de champion du Sénégal et qui ne tarit pas d’éloges sur son jeune frère. «Alassane est plus qu’un jeune frère, il mérite amplement le titre de champion du Sénégal. Je l’ai connu dans les années 70, mais il est resté le même homme, avise-t-il, il s’est montré toujours disponible, bien éduqué.»
Au bout de trois ans de vie d’internat et de footballeur intermittent, Alassane Dia sort avec le titre d’instituteur. A l’époque, les enseignants étaient vénérés et adulés. Mais la passion du ballon est plus forte que celle de la craie. Alassane Dia enseignant à Pikine dans les années 80, rejoint les Niayes et son coach de légende, Oumar Sarr. Un produit de l’école allemande à la rigueur militaire ; c’est lui qui lui transmet le virus du coaching.
Puis lors d’un match, un violent tacle par derrière vient envoyer Alassane Dia à la retraite. Sa cheville est en compote, le joueur reste une année sans jouer. Oumar Sarr, son entraîneur, qui avait très tôt décelé sa vista et ses arguments techniques, lui proposent de passer le diplôme de 1er degré. Sceptique au début, Alasssane se jette à l’eau et sort major de sa promotion. Mais ce jeune coach qui s’invite sur le banc de touche, a conservé les angles rugueux du footeux pur sucre, chambreur un rien timide. Sa première expérience de gestion d’une équipe, Alassane Dia la vit au Port autonome de Dakar où il est chargé d’entraîner les juniors. Chaque mois, il émarge… «Ma première paie comme coach s’élevait à 25 000 FCfa», reconnaît-il. Aujourd’hui, le plus gros salaire qu’il a touché sur un banc de touche est de 600 000 FCfa. «Ce n’est pas avec Pikine», précise-t-il pour éviter toute équivoque. Il a fait des stages avec la Caf, la Fifa…, aujourd’hui c’est un entraîneur de 3ème degré. «Il fait partie des plus chevronnés», renchérit Laye Sarr. Les miroirs de Alassane Dia dans le coaching se nomment Oumar Sarr, le défunt Youssou Touré. A l’international, il s’inspire du foot de Man U, Arsenal, Bayern Munich de Jupp Heynckes (saison 2012-2013).
«Je ne crois pas aux Xons…»

Certaines mauvaises langues réduisent le succès de Pikine aux pratiques mystiques. Son visage s’assombrit, il devient sérieux au sinistre. Puis il dit sans ambages : «Je ne crois pas aux Xons, même si je ne les nie pas», certifie-t-il. Lui, préfère évacuer la pression des matchs du dimanche par un repli sur soi. «Il s’inspire beaucoup des pratiquants du Yoga», dit-on. Il a arrêté de fumer en 2007. Puis, il aime bien la compagnie des marabouts tidianes. «La foi est un bon compagnon de route, il m’arrivait de me rendre à Pout, lieu de retraite du défunt Khalife des Tidianes, Serigne Mansour Sy, j’ai beaucoup appris à ses côtés», avoue-t-il. Le coach a effectué son pèlerinage à La Mecque en 2014, car un généreux Pikinois lui avait offert le billet. Alassane a lu, il lit et lira toujours Le monde s’effondre de Chinua Achebe, Une si longue lettre de Mariama Bâ, son passage deux ans au département de Lettres Modernes à l’Ucad le pousse à lire du tout. Ne vous fiez pas aux apparences, le coach «Alou» est un Salséro pur jus, qui écoute les morceaux Youssou Ndour d’antan et de Thione Seck. Un de ses fils, Iba Ndiaye Dia, a voulu arrêter les études pour le foot, mais son père Alassane lui a fait un tacle glissé rageur…Depuis, le gosse l’a appris ses dépens, il a obtenu son Bac S2 et fait des affaires. On vous disait que ce coach sait manier le bâton et la carotte et ça lui réussit bien.
Sincères condoléances à toute sa famille. Que le paradis soit sa demeure éternelle…
Kinkelibaa.Info #MOR TALLA GAYE#
REPERES
15 Novembre 1953 : Sa date de naissance
Années 80 : Il arrête le foot pour devenir coach
1996 : Champion du Sénégal avec la Sonacos
2001 : Vainqueur de la Coupe du Sénégal avec la Sonacos
2014 : champion du Sénégal avec l’AS Pikine