En tous domaines de la vie de la Nation, le principe fondamental sur lequel les valeurs de la République et de l’État de droit se concrétisent est la soumission consciente et inconditionnelle à l’autorité de la loi par tous, aussi bien ceux qui y sont assujettis que ceux qui ont pour fonction de l’adopter et ceux qui ont la responsabilité de la faire appliquer, sans exceptions autres que celles prévues par la loi elle-même.
Qu’on l’appréhende du point de vue de la jouissance des droits et privilèges ou sous l’angle des obligations et devoirs, c’est par l’attachement viscéral à ce principe, qui constitue l’essence même de l’Etat de droit, que la citoyenneté est positivement exercée en droits et utilement pratiquée en devoirs.
C’est sur la base de ce principe que l’automobiliste obtempère au geste du policier ou du gendarme qui lui enjoint de tourner à gauche alors qu’il veut aller à droite, que les parents respectent la décision de l’enseignant d’orienter leur enfant en série scientifique alors que celui-ci se destine avec leur assentiment aux métiers artistiques, qu’un citoyen se soumet à la sentence du juge qui le prive de sa liberté, que les motocyclistes se conforment à l’arrêté du préfet leur interdisant de circuler tel jour en telle localité, que les militaires obéissent en tout ce que leur ordonne leur chef de corps, que le fonctionnaire exécute les ordres que lui donne celui qui est d’emblée son supérieur hiérarchique dès qu’il intègre un service.
C’est aussi en vertu de ce principe que l’Assemblée nationale est l’Institution de la République qui détient le pouvoir d’adopter les lois, qui ne peuvent ni ne doivent avoir de suite autre que leur application conforme.
C’est aussi et surtout en vertu de ce même principe que l’Assemblée nationale a adopté la loi conférant au Conseil constitutionnel, première composante d’une autre Institution de la République, le pouvoir de prendre des décisions, qui ne peuvent ni ne doivent avoir de suite autre que leur application conforme.
Mais c’est aussi et toujours en vertu de ce principe que le Président de la République, première et principale Institution de la République, jure devant Dieu et devant la Nation sénégalaise, d’observer et de faire observer scrupuleusement les dispositions de la Constitution et des lois, de consacrer toutes (ses) forces à défendre les institutions constitutionnelles…
Demander, même de manière implicite, au Président de la République d’user des pouvoirs que lui confère l’article 52 de la Constitution de la République pour interférer dans le processus électoral en cours, dont il a lui-même fixé la date en application de la loi, serait une violation flagrante et délibérée de ce principe sacro-saint de soumission inconditionnelle à la loi.
Lui suggérer d’intervenir dans ce processus, de surcroît au stade d’avancement où il se trouve, serait l’inciter à violer son serment car, aux termes de l’article 92 de la même Constitution de la République, Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucune voie de recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles.
Et c’est bien ce qu’il a clairement fait savoir à plusieurs reprises dans des affaires relevant du domaine politique, en l’occurrence à l’issue de l’audience qu’il a accordée récemment aux prétendants dont la candidature à l’élection présidentielle à venir n’a pas été retenue par le Conseil constitutionnel dont les décisions.
En l’état de la stricte teneur de sa résolution y afférente et tant qu’elle ne se sera pas prononcée sur le rapport qu’elle attend de sa commission d’enquête, peut-on, du point de vue du droit, prêter à l’Assemblée nationale le projet d’inciter le Président de la République à interrompre le processus électoral en cours ou à reporter l’élection au-delà du 25 février 2024 ?
C’est le devoir impératif du Président de la République de faire respecter les décisions du Conseil constitutionnel, qui doivent être appliquées en leur état en vertu de l’article 92 précité. Les éventuels dysfonctionnements et insuffisances relevés dans le processus et dans ses décisions ne peuvent être traitées qu’à l’issue du scrutin.
Mais surtout, dans son attachement viscéral proclamé à son serment, dont sa non candidature à cette élection est une illustration qui l’a honoré aux yeux de beaucoup de gens au Sénégal comme à l’étranger, le Président de la République ne peut non plus ne pas donner la réponse de la République aux inquiétudes exprimées par l’opposition politique légale ; que celles-ci soient fondées ou non, légitimes ou non, c’est son devoir d’y répondre pour faire prévaloir l’Etat de droit et la paix sociale.
Laisser le pays s’enliser dans une crise politique serait un manquement incontestable au serment qu’il a solennellement prêté d’observer et de faire observer scrupuleusement les dispositions de la Constitution et des lois, de consacrer toutes ses forces à défendre les institutions constitutionnelles.
Aucune personne, aucune organisation politique, aucune institution n’est au-dessus de la République et de la loi.
Le pouvoir conféré par la République ne vaut que par l’application de la loi qui l’a institué et conformément aux valeurs, principes et règles qui sous-tendent ladite loi.
En toutes causes, en toutes circonstances, pour être conformes à son serment solennel, les décisions et les actes du Président de la République doivent être empreintes de discernement et de sagesse.
Qu’il plaise à Dieu l’en imprégner à suffisance en ces moments particuliers.
Alassane TOUNKARA
Grand-Officier de l’Ordre national du Lion