Évincé in extremis de la présidence tournante de la Cedeao au profit du Sierra-Léonais Julius Maada Bio, le président sénégalais a fait part de son mécontentement à ses homologues ouest-africains. Ce revers, qu’il n’avait pas anticipé, s’ajoute à une série d’accrocs diplomatiques pour le jeune chef d’État.
Publié le 27/06/2025 à 4h40 GMT
PAR AFP
Cinq jours après avoir vu lui échapper une présidence de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) qui lui avait été promise, le chef de l’État sénégalais Bassirou Diomaye Faye ne décolère pas. Le huis clos des chefs d’État ouest-africains à Abuja, le 22 juin, aura duré plus de trois heures, marqué par une extrême tension lorsqu’est venu le moment d’évoquer la désignation du nouveau président de l’organisation régionale.
Le Nigérian Bola Ahmed Tinubu, président sortant de la Cedeao, avait pourtant tenté d’introduire le sujet avec tact. En propos liminaire, il avait ainsi annoncé qu’un consensus s’était dégagé en faveur de son homologue sierra-léonais, Julius Maada Bio, à l’issue des consultations tenues au cours des dernières heures. Une déclaration immédiatement contestée par Bassirou Diomaye Faye, qui a affirmé que la présidence lui revenait de droit.
Quelque peu désarçonné, le chef de l’État nigérian a invité ses pairs à réagir. Tous ont confirmé leur soutien au Sierra-Léonais, invoquant principalement son ancienneté – élu en 2018 – et la dernière possibilité pour lui d’exercer ce mandat régional, contrairement au président sénégalais, arrivé récemment au pouvoir. Loin de se laisser imposer ce choix, le président sénégalais a alors repris la parole pour insister et réaffirmer que la présidence devait revenir à un francophone selon les règles de l’organisation. Il a également souligné qu’un deuxième critère de désignation jouait en sa faveur : l’ordre alphabétique, qui garantissait la primauté du Sénégal face à la Sierra Leone.
Huis clos sous tensions
Tentant de calmer les tensions, le Gambien Adama Barrow est intervenu pour rappeler à son « jeune frère » qu' »après neuf ans au sein de l’organisation » il pouvait lui affirmer que les « textes étaient secondaires et que le consensus devait primer ». Tour à tour, les chefs d’État présents ont essayé d’apaiser leur homologue sénégalais, très agacé. Seul le Libérien Joseph Boakai est resté silencieux. L’un des moments les plus mal vécus par Bassirou Diomaye Faye a été le ralliement de Patrice Talon, pourtant seul président francophone présent avec lui, à la candidature de Julius Maada Bio.
Le camp francophone avait pourtant tenté d’anticiper ce front. En amont du sommet, entre le 16 et le 20 juin, le président ivoirien Alassane Ouattara avait activement travaillé à la constitution d’un groupe de soutien autour de Bassirou Diomaye Faye. Il avait téléphoné à Patrice Talon, à Faure Gnassingbé ainsi qu’au président ghanéen John Dramani Mahama, qui avait donné son accord pour appuyer la candidature sénégalaise.
Mais les absences à Abuja du président ivoirien et de son homologue togolais ont privé Bassirou Diomaye de relais lors du huis clos, où la parole a été distribuée selon l’ordre protocolaire. La Côte d’Ivoire et le Togo, représentés par leurs ministres des affaires étrangères, ne sont finalement pas intervenus, et n’ont pu plaider en faveur du Sénégalais. Représenté par son ambassadeur, le Cap-Vert est quant à lui resté en retrait.
« Marchandage »
John Dramani Mahama et Patrice Talon ont finalement opté pour la ligne majoritaire en soutenant Julius Maada Bio. Isolé, Bassirou Diomaye Faye a vu son ambition contrariée. Pour tenter de faire redescendre la tension, ses homologues lui ont proposé d’inscrire dans le communiqué final une mention selon laquelle la prochaine présidence lui serait automatique attribuée. Le Bissau-Guinéen Umaro Sissoco Embaló qui a tenté de le convaincre d’accepter ce compromis s’est alors heurté à un refus catégorique. Le président sénégalais a rejeté ce qu’il a violemment dénoncé comme un « arrangement entre chefs d’État » et a déclaré ne pas être venu pour un « marchandage », exigeant qu’aucune mention de la sorte ne figure dans le document final.

Rentré à Dakar visiblement ulcéré, Bassirou Diomaye Faye a pris acte de « la réalité de la Cedeao » dont le fonctionnement est régulièrement dénoncé comme s’apparentant à un « syndicat de chefs d’État ». Ce revers, dont il impute une partie à la fragmentation du camp francophone, pourrait laisser des traces dans ses relations avec ses voisins et marque un nouvel accroc dans une diplomatie encore en rodage. Un échec d’autant plus mal vécu qu’une poignée de chefs d’État de la Cedeao sont restés en contact étroit avec son prédécesseur, Macky Sall, dont plusieurs très proches sont actuellement dans le viseur de la nouvelle administration sénégalaise.
Camouflets en série
Bassirou Diomaye Faye avait particulièrement misé sur la présidence de la Cedeao pour ripoliner son image sur la scène politique sénégalaise, un an et demi après son élection. Pour Dakar, la désignation de Julius Maada Bio à la tête de la Cedeao est d’autant plus mal tombée que le pouvoir sénégalais est en quête de succès internationaux afin de compenser un bilan économique pour l’heure peu reluisant. Elle succède en outre à une série de camouflets sur le plan diplomatique. Dernier en date : la défaite du candidat de Dakar pour la présidence de la Banque africaine de développement (BAD), Amadou Hott, arrivé en troisième position d’un scrutin remporté haut la main, en mai, par le Mauritanien Sidi Ould Tah.
En coulisses, certains partisans de l’ancien ministre de l’économie s’étonnent que le tandem exécutif formé par Bassirou Diomaye Faye et son premier ministre, Ousmane Sonko, ne se soit pas davantage investi dans la campagne de leur champion. S’ils ont tous deux publiquement apporté leur soutien au candidat, il leur est toutefois reproché de ne pas avoir concrétisé plusieurs engagements qu’ils avaient évoqués afin de booster sa candidature. L’un d’entre eux consistait en la nomination d’un ambassadeur de carrière, dont la tâche aurait essentiellement consisté à pousser l’image d’Amadou Hott sur la scène internationale. L’absence d’Ousmane Sonko, pourtant à Abidjan ce jour-là, lors du vote, a également éveillé les soupçons quant à un potentiel double jeu mené par la partie sénégalaise, à qui certains observateurs reprochent d’avoir volontairement sapé la campagne de son candidat.
Un revers qui est notamment venu s’ajouter à l’échec de Bassirou Diomaye Faye à faire revenir les pays de l’Alliance des États du Sahel (AES, Burkina Faso, Mali, Niger) au sein de la Cedeao. Un engagement qu’il avait formulé dès le lendemain de son élection en mars 2024. Après s’être déplacé à Bamako et à Ouagadougou, il s’est heurté à de polis refus.

Diplomatie bicéphale
Bien que relative, l’influence du Sénégal aux Nations unies (ONU) a, elle aussi, régressé au cours des derniers mois. Alors qu’elle disposait d’une fenêtre pour récupérer son siège au Conseil des droits de l’homme (CDH), Dakar n’a pas présenté de candidature officielle pour être réélue membre de cette prestigieuse structure onusienne en octobre 2024. Cette abstention a fait grincer des dents au sein du corps diplomatique, certains cadres regrettant que le gouvernement ne cherche pas à regagner sa place dans cette instance dont le Sénégal a été un membre particulièrement mobilisé entre 2018 et 2023. Plusieurs diplomates sénégalais s’inquiètent aussi de l’effritement de l’influence de Dakar dans la distribution de postes clés au sein de l’ONU.
Au sein du ministère des affaires étrangères piloté par Yacine Fall, d’aucuns s’étonnent également de l’activisme international d’Ousmane Sonko. Le premier ministre multiplie les voyages à l’étranger, au sein des pays de la sous-région comme le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire, visités en mai. Actuellement, il est en Chine. Des déplacements qui défient la tradition diplomatique sénégalaise, suivant laquelle les affaires étrangères doivent demeurer le domaine réservé du chef de l’État. En coulisses, certains hiérarques jugent même contreproductive cette diplomatie bicéphale, perçue comme alimentant la confusion auprès des partenaires étrangers, au premier rang desquels les palais présidentiels africains.