Par Dr Aliou Gori DIOUF, Okoor Mayeh
À l’occasion de la Conférence mondiale sur le financement du développement, ouverte ce lundi 30 juin en Espagne, nous partageons une réflexion critique inspirée par la dernière publication de la Climate Policy Initiative (CPI), consacrée au paysage mondial du financement climatique.
Introduction
Ce rendez-vous international de haut niveau constitue, à notre avis, un cadre opportun pour interroger les dynamiques actuelles du financement du développement, mais aussi pour examiner de manière approfondie les avancées, les limites et les perspectives du financement climatique mondial.
La Climate Policy Initiative (CPI) établit régulièrement un état des lieux du financement climatique mondial à travers des publications fondées sur la compilation rigoureuse de données issues de multiples sources et acteurs. Ces rapports visent à analyser les flux financiers destinés à lutter contre le changement climatique, tant à travers l’adaptation que l’atténuation.
C’est dans ce contexte que nous proposons une lecture critique des constats posés par la CPI, en y apportant une grille d’analyse centrée sur les limites structurelles de l’architecture institutionnelle actuelle et sur la nécessité d’un changement de paradigme pour accélérer les politiques climatiques.

1. La Climate Policy Initiative alerte
La publication de la CPI, parue en juin 2025 et portant sur les flux financiers de l’année 2023, dresse un bilan actualisé et détaillé des ressources mobilisées pour faire face au changement climatique, tant pour l’atténuation que pour l’adaptation. Elle met en lumière des progrès encourageants, mais également des alertes majeures sur les menaces qui pèsent sur la mobilisation future des ressources. Si une analyse approfondie des résultats fera l’objet d’un autre document, nous proposons ici une réflexion critique inspirée par l’alerte majeure et les menaces qui pèsent sur la mobilisation future des ressources identifiées par la CPI.
La CPI alerte :
« Même si les investissements climatiques sont en hausse, les événements géopolitiques en cours en freinent l’élan, risquant d’accentuer la fragmentation et d’avoir un impact sur les flux futurs. Le changement climatique ne s’interrompra pas du fait de priorités politiques changeantes – des politiques climatiques accélérées et des investissements renforcés sont nécessaires pour garantir la stabilité et la sécurité socio-économiques. Une telle action ouvre également de vastes perspectives de développement économique, de création d’emplois, de compétitivité et de prospérité à long terme. L’alternative – le statu quo – ne fera qu’aggraver les dommages économiques, sociaux et environnementaux dans le monde entier. »
Cette alerte met en évidence un risque additionnel : l’imprévisibilité des changements de priorités politiques, dictés par des crises géopolitiques susceptibles de surgir à tout moment. Ces crises peuvent entraîner une réaffectation des ressources financières initialement prévues pour l’action climatique vers d’autres priorités nationales. En réponse, CPI recommande l’adoption de politiques climatiques accélérées, accompagnées d’investissements soutenus, comme gage de stabilité et de sécurité socio-économiques. Selon l’Initiative, une telle dynamique serait porteuse d’opportunités concrètes pour le développement, la compétitivité, l’emploi et la prospérité à long terme. À défaut, les pertes économiques, sociales et écologiques risquent de s’aggraver.
2. Un statu quo toujours constaté et dénoncé mais toujours mal compris.
Cette mise en garde, bien que particulièrement pertinente et réaliste, n’est pas nouvelle. Elle est récurrente dans la littérature sur l’action climatique depuis plusieurs années. Pourtant, les progrès dans la mobilisation des ressources financières et la mise en œuvre accélérée des politiques climatiques demeurent limités. Ce statu quo est régulièrement dénoncé par les États les plus vulnérables et par la majorité des organisations de la société civile du Sud global comme du Nord. Mais il y a une question rarement posée : pourquoi la léthargie persiste-t-elle malgré les constats et dénonciations ?
Peu d’analyses interrogent véritablement les causes profondes de cette inertie. Nous formulons ici l’hypothèse que cette situation découle d’une compréhension biaisée de la problématique climatique – et plus largement environnementale – perçue à tort comme une question strictement sectorielle.
3. La dérive sectorielle et sa traduction institutionnelle
Dans la quasi-totalité des pays membres de la Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique (CCNUCC), la réponse au changement climatique a été presque systématiquement institutionnalisée via la création de ministères de l’Environnement, devenus les principaux porteurs des politiques climatiques. Cette « ministérialisation » de la question climatique a conduit à une sectorialisation de fait : on applique une approche sectorielle à une question multisectorielle, voire transsectorielle. La question climatique est institutionnellement réservée aux ministères de l’environnement.
Pourtant, dans les discours, les acteurs reconnaissent à l’unanimité que le changement climatique est une problématique multisectorielle, voire transversale. Ce paradoxe – une approche sectorielle pour un enjeu fondamentalement transversal – explique en grande partie l’absence d’accélération des politiques climatiques. Les efforts déployés par les ministères de l’Environnement, bien que louables, ne suffisent pas à impulser un changement systémique.
4. Un changement de paradigme vers une gouvernance climatique qui donne aux secteurs la place qui leur sied est nécessaire
Aucune politique climatique ambitieuse ne pourra émerger tant que les autres ministères, ceux qui sont impactent et sont impactés par le changement climatique, ne seront pas impliqués de manière équivalente. Il est impératif que les ministères de l’Économie et des Finances, des Infrastructures, des Transports, de l’Énergie, de l’Agriculture, de l’Élevage, de la Pêche, de l’Éducation, de la Santé, de la Culture, des Télécommunications, de la Recherche, de la Formation professionnelle, de la Protection sociale, ou encore du Numérique etc., soient pleinement engagés dans la lutte contre le changement climatique, au même titre que les ministères de l’Environnement.
Chaque ministère doit disposer de son propre agenda climatique, d’un budget spécifique, et de ressources humaines qualifiées, d’un dispositif de mise en œuvre et de suivi-évaluation et apprentissage dédiées à cet enjeu, coordonnés par une structure logée à la Primature ou à la Présidence de la République. Ce n’est qu’à cette condition que pourra émerger une action climatique collective, systémique et coordonnée.
Conclusion
Il est urgent de rompre avec la logique hiérarchique qui relègue les autres ministères au rang d’acteurs de seconde zone dans la lutte contre le changement climatique. Il faut instaurer une gouvernance climatique partagée où chaque secteur du développement humain se sentira autant responsable et impliqué que le ministère de l’Environnement.
Ce changement de paradigme est une condition sine qua non pour voir se développer, dans chaque secteur, des politiques climatiques budgétisées, exécutées par des personnels compétents et ancrées dans les réalités opérationnelles de chaque domaine.