Messe basse sur un secret de famille jalousement gardé. Amadou Boubacar Sow, Président d’honneur de la Fondation Aliou Sow ne trahit rien. L’homme de confiance met en lumière un aveu cisaillé avec la parcimonie propre à l’identité remarquable qu’était Aliou Sow, ce magnat du BTP à l’oeuvre sociale et humanitaire Majuscule. Malgré le temps qui passe. Amadou Boubacar Sow n’oublie rien de ces paroles de Aliou Sow à ses enfants. « Quand il a eu l’idée de créer sa Fondation, il a fait appeler ses enfants et devant moi. Il leur a dit, cette fondation est d’utilité publique, social et humanitaire. Demain si je ne serais plus de ce monde, ne pensez pas que vous trouverez dans mes comptes bancaires de l’argent à vous partager. Cette fondation est destinée aux nécessiteux, les gens des mosquées et des daaras. Bref c’est pour tout le Sénégal. »
Aliou Sow, rappelé à Dieu au soir de des 83 ans en 2017 est connu pour avoir fondé la Compagnie sahélienne d’entreprises (Cse), il était un modèle de discrétion dans un Sénégal des m’as-tu-vu.
Les Sénégalais l’ont cherché dans les mondanités et les vanités de ce bas monde finissant, ils ne l’ont pas trouvé. Mais, c’est dans une lucarne, celle de Canal + en 2016, dans le magazine Réussite de Elé Asu, que l’on découvre un vieil homme de 82 ans, blanchi sous le harnais du bâtiment et des travaux publics africains. Ce jour-là, l’on voit le nouveau retraité derrière son bureau rempli de paperasses, il porte une chemise carrelée rouge et un pantalon de la même couleur. Derrière le masque et la pancarte de milliardaire qu’il porte comme un léger chapeau, Aliou Sow que l’on n’a jamais surpris draguer les médias, quémander une interview ou faire le buzz sur le Net, dévoile un pan de sa vie méconnu des Sénégalais. «J’ai transporté des briques, des agros, des sacs de ciment, j’ai été chef de chantier, j’ai été au four et au moulin pour ainsi dire. Quand je dis aux gens que je me levais à 3 heures du matin, pour aller visiter les chantiers, ils ont du mal à le croire, c’est une réalité», révèle-t-il, entre deux sourires.
«Ma chance…»
Aliou Sow est une tombe qui ne l’ouvre jamais, son histoire est rarement déballée en public. Malgré ses milliards arrachés de haute lutte, alors que le monde du Btp dans les années 70 était vampirisé par les grandes entreprises françaises. Lui, l’ancien cadre du groupe pétrolier Shell, participe en 1976, à la création de la Compagnie sahélienne d’entreprises (Cse). Avec sa rigueur chevillée au corps, son désir de faire grandir son «famélique» bébé contre vents et marées, il réussit à s’imposer. Mais que ce fut difficile ! Il dit : «La chance que j’ai eue, c’est que je suis passé par Shell pendant 10 ans, je suis tombé sur cet ami banquier qui m’a supporté et qui m’a prêté les 5 millions de FCfa qui m’ont permis de participer au capital de la société, il m’a soutenu contre vents et marées, contre les entreprises Majors qui étaient là à l’époque.» Sa patience a fini par payer, son ambition à construire une entreprise de Btp respectable et respectée a fait le reste. Et surtout, cet homme rappelé hier à Dieu à l’hôpital américain de Paris à l’âge de 83 ans, n’est jamais tombé dans le piège de l’excès, de la frime, de l’ostentation démesurée et de l’arrogance raboteuse. Aliou Sow a hissé la Cse au rang de Premier groupe africain du Btp en Afrique de l’Ouest qui réalise un chiffre d’affaires de 100 milliards de FCfa par an, selon le site de l’entreprise. Avec la concurrence féroce des Majors du Btp constitués pour la plupart, d’entreprises françaises, beaucoup de pays africains voyaient d’un mauvais œil que des Africains s’invitent dans ce domaine des Bâtiments et travaux publics (Btp), personne ne leur accordait le moindre crédit.
Dans le reportage diffusé par Canal +, un de ses plus proches directeurs, Birane Wone, confirme cette période des premiers balbutiements. «Au début, quand nous répondions sur des appels d’offres dans certains pays, quand les gens nous voyaient, nous étions tous noirs, il n’y avait pas de blancs, ils se demandaient si nous pourrions faire le travail. Il fallait passer des coups de fil, des confirmations de certains bailleurs qui nous voyaient comme une entreprise sérieuse», concède-t-il.
Aujourd’hui, la réputation de la Compagnie sahélienne d’entreprise a dépassé la Sous-région. Elle est spécialisée dans l’ingénierie du génie civil, route, assainissement, présente dans toutes les opérations à fort enjeu, qu’il s’agisse d’infrastructures des transports, d’ouvrages de génie civil, de bâtiments complexes ou d’équipements industriels au Sénégal et en Afrique. A l’actif de la Cse, il faut mettre le relookage du centre-ville dakarois, avec des tours de verre très contemporaines, le maquillage parfait du visage de la Corniche, signant la réalisation du Waterfront et de l’hôtel Radisson Blu. Le siège majestueux de la Sonatel porte aussi la griffe de la Cse, des immeubles de la Banque sahélo-saharienne pour l’investissement et le commerce (Bsic), Rivonia etc, le siège du ministère de la Santé, la liste est loin d’être exhaustive. La Cse a réalisé, dans un délai de temps très court, les travaux du pont de l’Emergence, les travaux d’extension de la Vdn, des routes et des routes sur tout le Sénégal, c’est toujours la Cse, sans compter les travaux routiers dans la Sous-région : Libéria, Burkina Faso, Mali, pour ne citer que ceux-là.
Il avait la main sur le cœur…
A l’état civil, Aliou Ardo Sadio Sow, fils de Ardo Sadio et Malado Bâ, adore les grandes causes sociales. L’essentiel pour lui est que tout parte du cœur. Comme ce dernier geste effectué avant son dernier périple en France. C’est un de ses petit-fils qui, gêné de souiller la discrétion de son grand-père, qui en parle avec une réticence feinte, insistant qu’on respecte son anonymat : «Avant d’être évacué pour des soins, il a tenu à ce que tous les retraités, les veuves de retraités, fêtent dignement la fête de Tabaski, en leur donnant chacun, un chèque de 200 000 FCfa, pour payer le mouton. C’était un homme multidimensionnel, il a également signé les états pour le paiement des salaires. Son rappel à Dieu est une grosse perte pour tout le Sénégal.» Aliou Sow, échappé de Kadion, dans l’arrondissement de Thilé Boubacar, département de Podor, avait fini d’être le père de ses employés qui ne se plaignaient jamais. Ou presque. Tant beaucoup saluent les subventions des logements sociaux, la trentaine de pèlerins qu’il convoie à La Mecque chaque année, le service social installé au cœur de son système qui soigne tout le monde, la construction des mosquées, sans compter son souci de s’intéresser aux travaux du petit ouvrier…dans les chantiers les plus reculés. «Il était quelqu’un de profondément humain envers ses employés», témoigne son petit-fils.
Son fils aîné, Oumar Sow, le lourd legs et les filiales
Dans la belle symphonie de la Cse, Aliou Sow a joué sa partition à fond, sans fausse note. Ou presque. Depuis pourtant quelque temps, il avait décidé de passer la main à son fils aîné, Oumar Sow, qui est porté à la tête à la Présidence du directoire du groupe. Mais le pater n’était jamais loin, puisqu’il assurait la présidence du Conseil d’administration. Sans trop étouffer les initiatives et risques pris par son fils et son groupe de loyaux serviteurs qui l’accompagnent depuis 1970. Oumar Sow fait aussi dans la discrétion comme son père, on le voit rarement sous les feux des projecteurs et des flashs des photographes. Dans cette famille, l’adage pour vivre heureux, il faut vivre caché, est le principal code de conduite et tout le monde s’y est astreint. Ardo Sow, son fils cadet, est le directeur d’une société spécialisée dans le terrassement, la Société sénégalaise d’équipement et de terrassement (Soseter), on ne le voit jamais. Itou pour Yérim Sow, le patron de Teylium, qui fait partie des 25 grandes fortunes d’Afrique Francophone. Pour toute la fratrie des Sow, la perte est inestimable, le chagrin immense. Un de ses neveux, Racine Sow, joint au téléphone, parle de ses innombrables et nombreuses oboles. «On connaît tellement de bienfaits sur notre grand-père, Aliou Sow, que les raconter nous prendrait toute la journée. A lui seul, il maintient des centaines de personnes en vie, par l’achat de médicaments, des prises en charge sanitaire, dont le plus important, l’achat d’un médicament d’un coût de 1 million 800 mille pour un enfant gravement malade, tous les 20 jours», jure-t-il.
«Mon grand-père, ce modèle de développement»
Il suffit de voir l’élan de tristesse qui a inondé les réseaux sociaux pour se rendre compte de comment les Sénégalais, dans leur immense majorité, ont salué la mémoire de ce Self-made-man et qui a rendu des services importants à la Nation. Alors, quoi de plus normal que le premier des Sénégalais, le Président Macky Sall, écrive pour dire toute sa tristesse. «Je suis peiné d’apprendre la triste nouvelle du décès de Aliou Sow. Avec le rappel à Dieu de Aliou Sow, le Sénégal perd une figure emblématique de son secteur privé national. Créateur d’entreprises et philanthrope engagé, le fondateur de la Cse est un modèle de ténacité et de constance dans la quête de l’excellence. Je salue sa mémoire et présente à sa famille mes condoléances émues. Paix à son âme», rédige le chef de l’Etat dans son hommage à titre posthume. Chez la famille du milliardaire, c’est avec une fierté mesurée, un triomphe modeste que l’on a accueilli l’hommage du chef de l’Etat. «C’est une fierté, au delà, c’est une école qu’on doit montrer aux jeunes sénégalais. Aliou Sow était un modèle de développement, un homme comme lui au Sénégal, il n’y en a pas beaucoup», explique Racine Sow, son neveu qui travaille dans le groupe Cse au service des Achats.
La vie de Aliou Sow faite de discrétion et de générosité jamais étalée sur les sites d’informations du Net, est un pied de nez à toute cette tribu de farceurs qui, lors des mondanités du Grand-Théâtre, jettent de l’argent en veux-tu, en voilà. Le décès de ce grand bâtisseur est une sérieuse piqûre de rappel aussi à tous les pessimistes qui refusent le développement de l’Afrique, c’est un sacré coup de semonce également aux gens qui occupent les médias, au lieu d’aller travailler sans bruit…Mais c’est tout de même un sérieux coup d’encouragement aux Sénégalais qui se lèvent tôt. A ceux qui triment, tous les jours, pour hisser haut le drapeau national dans tous les secteurs d’activité. Selon des confidences de la famille, la dépouille mortelle de l’homme d’affaires arrive samedi et l’inhumation prévue le dimanche. Un bâtisseur est tombé. 5 ans dejà, mais il est toujours dans les coeurs.
Mor Talla GAYE