En février 2003, Amara Essy, l’ancien ministre des Affaires étrangères de Félix Houpghouët-Boigny a reçu des mains de Cherif Ouazami, rédacteur en chef adjoint de Jeune Afrique, une lettre à en-tête de DIFCOM. Signé par la savoyarde Danielle Ben Yahmed, président-directeur général, le courrier soumet au patron transitoire de l’UA, qui briguera le 10 juillet, lors du sommet de Maputo (Mozambique), le mandat de président de la commission de l’Union, une « bonne idée ».
« Nous avons pensé, précise Mme Ben Yahmed, que dans le cadre d’une communication efficace, vous pourriez être présent dans Jeune Afrique/L’Intelligent à travers une de nos rubriques de communication intitulée « profil ».
Suivent deux propositions : « Soit vous remettez les textes, photos, graphiques, et nous ne nous occupons que de la mise en forme, du montage du document et de son impression. Soit nous mettons à votre disposition un journaliste et un photographe pour réaliser ce supplément, ce qui signifie que vous prenez en charge leur voyage et leur séjour si nécessaire. »
Qui l’eût cru ? L’auteur de la missive juge la seconde formule « plus appropriée pour plus d’efficacité et de rapidité ».
Venons-en au « coût de l’opération » : 192 000 euros (125 952 000 de Fcfa) pour un cahier de 16 pages, assorti de « la fourniture de 1 500 exemplaires tirés à part du « profil » sur un papier plus luxueux et pelliculé ».
Par ailleurs, DIFCOM offre, moyennant une rallonge de 70 000 euros (45 920 000 Fcfa), la confection de 1 500 exemplaires en anglais, en portugais et en arabe. Au fond, qu’y a-t-il de choquant à cela ? Devis à l’appui, une agence de com’ démarche l’homme qui s’apprête à disputer à l’ancien président du Mali Alpha Oumar Konaré une éminente fonction.
Le hic, c’est qu’il manque à ce document un alinéa que l’on pourrait libeller ainsi : Il va de soi qu’en cas de refus, cher Monsieur, nous nous verrons dans l’obligation d’engager dans les colonnes de notre hebdomadaire des mesures de rétorsion éditoriales, à l’évidence préjudiciables à votre candidature.
De fait, le diplomate ivoirien décline la suggestion. Et la sanction tombe, à la veille du sommet décisif, sous la forme d’un éditorial de Béchir Ben Yahmed. « Ses qualités et son dévouement n’étant pas en cause, lit-on dans l’édition du 22 au 28 juin, le dernier secrétaire général de l’OUA, actuel président intérimaire, Amara Essy, ne peut pas être l’homme de ce nouveau départ. Son nom et son image sont liés à la fin d’un chapitre de l’histoire africaine et à la transition vers une nouvelle ère. »
L’ai-je bien descendu ? Pas mal, mais on attend encore le coup de pied de l’âne. Le voici : « Il devrait, je pense, considérer comme accomplie la mission transitoire qui lui a été confiée et se féliciter de passer le relais à un homme de la stature d’Alpha Oumar Konaré. »
De fait, à Maputo, les maîtres de l’Afrique jetèrent leur dévolu sur l’impétrant malien.
Trois ans après, Amara Essy porte sur ses déboires un regard amer et désabusé. « L’offre initiale ne m’a pas surpris, confie-t-il. L’édito de représailles, oui. À l’époque, le reliquat de mon budget de communication était d’environ 40 000 euros (26 240 000). Et on m’en demandait quatre fois plus. Bien sûr, j’aurais pu, comme on me l’a suggéré, quémander auprès de Bongo et Kadhafi. Mais je m’y suis refusé. Quand j’étais aux Affaires étrangères, à Abidjan, j’envoyais une voiture à l’aéroport dès qu’un visiteur de JA débarquait. Je lui ouvrais toutes les portes, y compris celles des ministères. (…) Nous étions alors à tu et à toi. Même si je n’ignorais rien des marchandages auxquels il soumettait Houphouët. »
Toujours plus fort, l’article à géométrie variable. « Un jour, rapporte un témoin, on a invité un rédacteur à livrer deux versions d’une analyse sur le Burundi. L’une élogieuse, l’autre sévère. Et c’est l’accueil réservé par les autorités à une offre commerciale qui a dicté le choix final. »
Source: «Les sorciers blancs. Enquête sur les faux amis français de l’Afrique». «Médias sans foi ni loi». De Vincent Hugeux.