« Le style, c’est l’homme et quand le style est obscur, il faut déjà s’inquiéter »
André Comte Sponville
Par Mamadou Lamine DIATTA
C’est enfoncer des portes ouvertes de dire qu’Ousmane Sonko est l’artisan majeur du raz de marée Pastef au scrutin législatif du 17 novembre 2024.Même si la répétition a toujours des vertus pédagogiques.
On attendait la fameuse bataille de Dakar entre lui et Diaz fils, tête de file de Samm sa Kaddu et Pros comme l’appellent ses inconditionnels se paie le luxe de survoler la capitale.
Par ricochet, il a eu le don de séduire et de convaincre momentanément le Sénégal réel.
Autant dire que la mainmise du tandem qu’il forme avec le Président Bassirou Diomaye Faye est partie pour durer au moins le temps du quinquennat en cours.
Sonko est un phénomène doté d’une intelligence sociale avérée pour avoir su décrypter et maîtriser les codes d’un peuple avisé et en avance sur sa classe politique.
C’est en vérité ce qui fait toute sa force. Avec lui, pas de demi- mesure. Ça plaît ou ça dérange. Ça passe ou ça casse.
Le Leader de Pastef a une approche disruptive de l’action politique. L’avantage c’est que la lisibilité du message est actée.
C’est ce qui explique quelque part le choix de ses éléments de langage qui ont pour noms rupture, souverainisme, focus, démantèlement du système, Jub Jubbal Jubbanti et tutti quanti…
Mieux, il a le don de toucher la fibre sensible de ses concitoyens en titillant leurs affects et leurs ressentis. C’est ce magnétisme qui explique l’adhésion populaire aux fameux « Beignets dougoup » vendus à l’époque comme de petits pains ou encore à la récente séquence humoristique sur les pastilles Valda : un momentum qui a fini de booster les ventes du produit de cette célèbre usine rufisquoise un moment tombée en léthargie.
Voilà en décodé ce qu’il est convenu d’appeler la magie Sonko. « Le style, c’est l’homme et quand le style est obscur, il faut déjà s’inquiéter » disait le philosophe français André Comte-Sponville.
Alchimiste iconoclaste, l’ancien maire de Ziguinchor a su trouver une identité pour se frayer un chemin dans ce landerneau politique aux sentiers sinueux et parsemés d’embûches. Forcément son discours fait mouche car c’est dans la nature humaine de tomber en pamoison devant un narratif inédit donc original par ces temps de morosité ambiante où les disques rayés restent la marque de fabrique de ceux qui squattent et polluent au quotidien l’espace public. De ce point de vue, Sonko sait vendre du rêve et en politique c’est vital.
Même son style vestimentaire n’est pas fortuit et entretient quelque part son charisme. Un coup en tenues africaines avec un clin d’œil aux créateurs locaux, un autre en blue jean, chemise aux manches retroussées sans oublier la casquette vissée sur le chef.
La gestuelle et les autres artifices comportementaux de cette bête politique font le reste.
Autant dire qu’il incarne un dirigeant de son temps.
Justement c’est plutôt cette fine démarcation et cette fraîcheur que Sonko apporte dans l’Agora qui semblent emporter l’adhésion massive de ses millions de militantes, militants et sympathisants. Une situation complexe et assez inextricable que le meilleur des psychologues aurait du mal à analyser.
Lui s’en accommode et semble s’en délecter en adressant un bras d’honneur à ses contempteurs.
Ce Leader panafricaniste atypique est assurément un véritable ovni.
L’inspecteur des impôts et domaines est donc une sorte de mélange de technocrate, de stratège mais aussi de populiste. À la seule différence que son populisme est dynamique d’autant qu’il sait puiser dans le registre de la subtilité et du pragmatisme pour se tirer d’affaire. Comme dans le récent épisode de son rétropédalage. Après avoir appelé à la vengeance suite aux attaques répétées contre son convoi électoral, il s’est vite ravisé pour appeler au calme et à la sérénité… Comme pour s’excuser d’avoir commis une bourde monumentale.
Cette humilité marquante a dû toucher plusieurs sceptiques et autres indécis car la tête de liste Pastef a étalé toute son humanité mais aussi toutes les carences et faiblesses de l’être humain qui ne saurait être un surhomme à la science infuse. Comme quoi, nul n’est indispensable et surtout nul n’est infaillible !
Pour autant, Ousmane Sonko qui passe véritablement pour un passeur d’émotions n’est pas un Saint même s’il dégage de faux airs de gourou au regard de sa relation fusionnelle avec ses inconditionnels assimilables à des Feddayins.
Il a intérêt à faire beaucoup d’efforts pour mieux habiter cette fonction primatoriale qui devrait lui permettre en temps normal de rendre opérationnelles, du moins superviser toutes ces politiques publiques destinées à garnir le panier de la ménagère en impulsant la croissance économique et le progrès collectif.
Une autre paire de manches d’autant qu’on lui reproche ici et à l’international un caractère informel qui ne ferait pas de lui un homme d’État au sens plénier du terme.
Le temps Sonko est compté et il lui faudrait faire rapidement son introspection et réfléchir sérieusement pour se déterminer et choisir entre la prestigieuse fonction de Président de l’assemblée nationale et celle de Premier ministre plus stressante et surtout plus énergivore. Un dilemme cornélien !
Il est évident que peu importera la station qu’il va occuper dans les meilleurs délais car cet homme se confond aujourd’hui avec la puissance publique et son action déterminera le sort de 18 millions de Sénégalais dans les cinq prochaines années.
C’est toute la responsabilité qui pèse sur ses frêles épaules dans un contexte difficile de morosité économique.
Les Sénégalais ont donc adhéré massivement au Projet.
Pour autant, ce pays ne saurait rester en campagne électorale permanente.
« Les Sénégalais sont fatigués » : la fameuse antienne du regretté juge Kéba Mbaye est plus que jamais d’actualité. Les populations sont happées par la rareté de l’argent-roi et l’avancée galopante de la pauvreté.
Comme le disait avec pertinence le brillant historien Mamadou Diouf : « Le nouveau pouvoir est scruté avec en ligne de mire des attentes irrationnelles »…
Sonko et la galaxie Pastef disposent désormais de tous les leviers de gouvernance pour mener la barque Sénégal à bon port.
Ce peuple résilient ne leur fera désormais aucun cadeau et ne leur pardonnera rien car ils doivent faire preuve d’un Leadership transformationnel pour assurer une véritable relance économique, une réduction drastique des inégalités sociales abyssales et une meilleure redistribution des richesses issues notamment de notre statut enviable de pays pétrolier et gazier.
Tous au boulot !