Le général Jean-Baptiste Tine, poitrine bardée de galons, a cédé hier lors d’une passation sobre la place à un avocat : Me Mouhamadou Bamba Cissé. Connu des prétoires pour ses plaidoiries affûtées et ciselées comme des lames de cristal, l’homme cache d’autres talents insoupçonnés. Derrière les dehors de gendre idéal, silhouette longiligne sans excès ni lourdeur, se dessine un sportif au naturel élégant.
Car Bamba Cissé ne fait rien comme les autres. Attaquant opportuniste, technique vive, il a longtemps affolé les défenses adverses lorsqu’il portait les couleurs de l’équipe des avocats sénégalais à une époque où ses jambes répondaient encore. Décisif, déroutant, parfois magicien, il transformait un match par un dribble facétieux ou un tir venu d’ailleurs. «Un matin de 2008, sur le terrain de Yoff, il nous a martyrisés comme pas possible. Ce jour-là, il a offert la victoire aux avocats contre l’équipe du Quotidien et du Week-End Magazine. Tout le monde a compris qu’il avait un don », raconte, amusé, un ancien journaliste devenu communicant dans le service public.
Enfant de la balle, il l’est par essence. Né à la Gueule Tapée, quartier populeux de Dakar en 1978, il a grandi dans ce labyrinthe de ruelles étroites où chaque virage devient un terrain de jeu et d’apprentissage. C’est là, vers treize heures, quand les rues s’endorment et que les voitures désertent, que l’artiste Bamba entrait en scène, ballon collé au pied, inventant un football de quartier plein de malice et de fulgurance.
«Comme tous les garçons de la Gueule Tapée, il n’a pas échappé au virus du ballon. Jouer sur des rues étroites forgeait notre vitesse, notre vista et notre technique», se souvient Me Baba Diop, lui aussi passionné de football et ancien talent “crashé” des terrains de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Plus âgé de quatre ans, Baba Diop l’a vu éclore, diamant brut encore rugueux mais promis à briller. Les heures de matchs, souvent prolongées jusqu’à la tombée de la nuit, sculptaient le style d’un joueur fait pour les grandes envolées.
À l’école primaire Alié Codou Ndoye, Bamba Cissé se distinguait par sa discrétion et son sérieux. Camarade de classe de Soukeyna, la petite sœur de Me Baba Diop, il tissait peu à peu des liens d’amitié avec celui qui allait devenir son confrère. Le destin les réunit à nouveau au tournant de leurs vies : tous deux réussirent le concours du barreau en 2002 et prêtèrent serment ensemble en mai 2003.
«J’ai toujours eu de l’admiration pour lui, confie Me Baba Diop. Même si nous ne nous fréquentions pas vraiment à la Gueule Tapée, je le remarquais déjà par sa discipline. À l’université, il se distinguait encore : en première année, alors que j’étais en licence, sa détermination frappait les esprits. Il avait une abnégation qui le séparait des autres.»
L’amour du ballon rond les avait réunis : l’un, attaquant racé, l’autre, ailier d’une vélocité rare, partageaient la même passion au sein de l’équipe du barreau sénégalais où ils sont rares les physiques qui supportent l’exercice footballistique certains ténors préfèrant se baroniser, bedaine bien mise en évidence dans des robes noires sur mesure. Ce n’est pas le cas de Me Baba Diop et Me Bamba Cissé dont la foudre semblait jaillir de leurs pieds. Le duo ne tarda pas à rivaliser avec les meilleurs barreaux du monde lors de joutes internationales. « C’est l’attaquant du barreau. Nous avons participé ensemble à de nombreux tournois internationaux, notamment les Mundiavocat. C’est un véritable renard des surfaces, toujours meilleur buteur de l’équipe », confie Me Baba Diop, témoin privilégié.
Les anecdotes ne manquent pas dans cette sphère footballistique singulière. En 2006, à Antalya, en Turquie, Me Bamba Cissé manque un but immanquable. Lors du débrief, Feu Joseph Koto, pince-sans-rire, le taquine devant tous : « Eh Me Bamba Cissé, ce que tu as raté, même moi, ton grand, je pouvais le marquer sans problème ! » Le rire éclate, mêlant camaraderie et moquerie bienveillante.
Mais les années passent, et les jambes de vingt ans cèdent la place à une expérience plus posée. Me Mouhamadou Bamba Cissé, tel un Roger Milla sénégalais, ne brille plus sur le terrain comme autrefois. Son terrain d’excellence s’est déplacé vers la précision et la patience : le tir. Affilié au club Keww, il y pratique une discipline moins effervescente mais tout aussi exigeante. « C’est quelqu’un de disponible, courtois et bienveillant. Il tire pour le plaisir, mais demeure un monsieur plein de civilités », souligne Mamadou Bâ, Président de la Fédération de tir et de chasse.
Pourtant, ni ses exploits sportifs ni sa maîtrise du tir ne définissent le profil recherché par le Premier Ministre Ousmane Sonko ou le Président Diomaye Faye. Plusieurs voix, comme celle de Me Madické Niang, ancien ministre sous Abdoulaye Wade, s’élèvent pour saluer sa nomination au ministère de l’Intérieur : « Je tiens à saluer la nomination de ce brillant avocat, qui saura apporter rigueur et finesse à ce poste stratégique. Je lui souhaite plein succès, accompagné de mes ferventes prières, afin que le Sénégal continue de rayonner comme un pays de paix et de liberté. »
Ses proches évoquent avec affection un trait particulier : Me Bamba Cissé ne digère pas ses défaites judiciaires. Mais aux côtés de confrères comme Me Clédor Ly, il partage éloquence, stratégie et maîtrise des textes. Ancien secrétaire de conférence et lauréat du premier prix des Barreaux francophones d’Afrique, il est aujourd’hui reconnu comme un véritable orfèvre du droit.
Le plus beau témoignage reste celui de son épouse, Marie Louise Ndiaye, qui sur sa page Facebook écrit : « Aujourd’hui, une nouvelle page s’ouvre dans la vie de cet homme (Me Bamba Cissé), une référence pour moi dans le travail. Depuis samedi, sa nomination au poste de ministre de l’Intérieur l’ouvre à un monde qu’il a longtemps côtoyé. La responsabilité est immense, mais il a les épaules assez larges pour la gérer avec brio.» C’est beau. C’est dit!