Le commandement sénégalais traverse une phase de tension
inédite liée au récent remaniement de la haute hiérarchie
militaire du pays. Au cœur des intrigues, Messa Cellé Ndiaye,
inamovible aide de camp du président dont l’influence sur
l’appareil sécuritaire agace ses pairs alors que Macky Sall fait face
à des accusations de népotisme jusque dans son propre camp.
Comme chaque année depuis 2014, les hauts gradés sénégalais sont nombreux à
assister au Forum sur la paix et la sécurité, dont la huitième édition s’est tenue aux
abords de la capitale sénégalaise du 24 au 25 octobre.
Véritable outil de soft power pour la présidence de Macky Sall, l’événement
permet de mettre en avant la stabilité du Sénégal, où, contrairement aux voisins
de la sous-région, l’armée se veut à bonne distance du champ politique. Mais, en
coulisses, les sourires et poignées de main échangés en public laissent rapidement
place à une certaine amertume.
Fait du prince
Dans une série de décrets passés à la mi-octobre, Macky Sall a procédé à plusieurs
nominations au sommet de l’appareil sécuritaire du pays, dont celle d’un nouveau
chef d’état-major de l’armée de terre, le colonel Souleymane Kandé, promu au
grade de général par la même occasion. Un remaniement que plusieurs cadres
militaires n’ont pas digéré.
L’homme qui cristallise les frustrations n’est autre que l’aide de camp du
président, le général Meïssa Cellé Ndiaye. Ce dernier est personnellement
intervenu auprès du président afin que Kandé, dont il est proche, soit
impérativement nommé, alors que son prédécesseur, le général Philippe Henry
Alfred Dia, était en fonction depuis seulement trois mois. Promu au grade de
général de division, ce dernier officie désormais comme inspecteur général des
armées.
Bataillons d’élite
La nomination de Kandé a provoqué une levée de boucliers parmi les officiers
supérieurs sénégalais. Le quinquagénaire peut certes se prévaloir d’un parcours
prestigieux : patron des forces spéciales d’août 2021 à aujourd’hui, il a
précédemment commandé la zone numéro 5 de Casamance, où un conflit de basse
intensité sur fond de séparatisme dure depuis le début des années 1980.
Mais sa désignation passe difficilement auprès des hauts gradés issus de l’armée
régulière, dont un bon nombre sont plus âgés et s’estiment plus expérimentés. A
51 ans, Kandé est, à titre d’exemple, de trois ans le cadet de son prédécesseur.
Certains pointent aussi ses liens avec Messa Cellé Ndiaye, l’appelant en privé son
« poulain », qui lui auraient permis d’accéder à la fonction malgré ce décalage : tous
deux sont issus des bataillons spécialisés de l’infanterie sénégalaise – les commandos pour Ndiaye et les parachutistes pour Kandé – et à ce titre
appartiennent à une frange élitiste de l’armée.
Inséparables
Le bras de fer aura cependant duré plusieurs mois. Plusieurs hauts gradés, au
premier rang desquels le chef d’état-major des armées Cheikh Wade, se sont
opposés à la nomination de Kandé, avant de finalement céder face à l’insistance de
Macky Sall. Car dans les arcanes du pouvoir sénégalais, la proximité entre le
président et Messa Cellé Ndiaye, son aide de camp, n’est plus à démontrer. Les
deux hommes cheminent ensemble depuis près de 20 ans.
Messa Cellé Ndiaye a d’abord servi auprès de l’actuel chef de l’Etat lorsque ce
dernier était premier ministre sous Abdoulaye Wade, de 2004 à 2007. Celui qui
n’était alors qu’un jeune officier était déjà connu pour son tempérament
fougueux : dans les années 1990, alors étudiant à l’Ecole spéciale militaire de
Saint-Cyr, il avait été renvoyé de la prestigieuse institution pour avoir giflé son
instructeur à la suite de propos racistes. Une anecdote qui contribue, encore
aujourd’hui, à forger sa légende.
Lorsque Macky Sall avait perdu sa place, Messa Cellé Ndiaye avait quitté la
Teranga pour la Chine afin d’y suivre le cursus de l’école de guerre. La distance
n’avait pas empêché les deux hommes de rester en contact étroit et, lors de son
accession au pouvoir en 2012, Macky Sall avait rappelé son ancien aide de camp à
ses côtés. Neuf ans plus tard, le président l’a même maintenu à ce poste clé après
son élévation au grade de général, quand l’usage veut que la fonction soit occupée
par des commandants ou des colonels.
Accusation de népotisme
La pratique n’est cependant pas nouvelle au Sénégal : Abdoulaye Wade avait, lui
aussi, conservé le même aide de camp pendant plusieurs années, le désormais
vice-amiral Cheikh Bara Cissokho. Mais l’ingérence de Messa Cellé Ndiaye sur
certains dossiers stratégiques, dont le dispositif national de contreterrorisme agace de plus en plus ses pairs.
Son immixtion dans la désignation
des hiérarques de l’armée inquiète aussi les acteurs politiques, dans un contexte où le président et sa famille font face à des accusations de favoritisme, dont la
provenance va au-delà de l’opposition traditionnelle.
Après avoir quitté la mouvance présidentielle avec fracas après que Macky Sall lui
a refusé le perchoir de l’Assemblée nationale, l’ancienne première ministre
Aminata Touré a récemment déposé un projet de loi visant à limiter l’exercice de
fonctions et de responsabilités officielles en cas d' »existence de liens familiaux »
avec le président. Celle qui a mené la campagne de la majorité en amont des
élections législatives (AI du 20/05/22) soupçonne l’actuel président de l’hémicycle,
Amadou Mame Diop, d’avoir été choisi par Macky Sall en raison de sa proximité
avec la belle-famille de ce dernier.
La situation ne semble pas pour autant préoccuper le chef de l’Etat. Après avoir
repoussé, dans un décret mi-octobre, le départ de Messa Cellé Ndiaye à avril 2024 –
il devait initialement partir à la retraite en décembre 2022 -, Macky Sall vient tout
juste de le décorer aux côtés d’autres hauts dignitaires de l’état.
Source: Africa Intelligence