Tentons un coup : un griot des temps anciens ? Un conservateur à l’argumentaire décapant ? Un rnusicien autodidacte à l’esprit fertile ?
Lui se sent bien dans la peau d’un «ambassadeur de la musique traditionnelle», il aime l’étiquette. Mais, il adore plus qu’on lui plaque sous la nuque «Jumeau de Baba Maal.»
Mansour Seck, artiste- musicien, choriste inamovible du Dande Lenol, fait partie de ces personnages que l’on croit connaître sans rien savoir d’eux, ou presque. Voix singulière, silhouette uniforme esquissée sur un arrière-fond de scène, contre-emblème d’une époque qui donne envie à tout le monde de lutter pour la place du devant. Si le nom de Mansour Seck est si peu connu, c’est qu’il s’abrite derrière l’oriflamme d’un homme prestigieux : Baba Maal, chanteur-compositeur aux goûts insondables, super patron du Dande Lenol. Car dans le microcosme du who’s who de la musique sénéga!aise, on a passé un certain temps à se demander Who’s he ? Et il ne fallait pas compter non plus sur son physique brindille pour s’imposer : celui d’un Sahélien de la pure espèce, ombre fluette de Baba, ce «plus que frère» qu’il porte dans son cœur. Et dans ses chœurs. Le Taureau (il est né un 5 mai) aux mots doux est presque en lévitation à l’évocation de son pote «de tous les jours et de toujours». Il sourit de ses dents jaunies par le tabac, ouvre ses yeux éteints qui ne trouveront jamais le point qu’il cherche. Il est habillé «Ndanaan» avec ce boubou traditionnel basin marron qui enveloppe son teint noir râpé.
Mansour Seck, c’est une success story comme la vie aime à en produire, avec des rebondissements dignes des meilleurs – ou des pires scénarios du destin. Il est né à Guédé, dans le Fouta. A trois ans, encore plongé dans le monde de l’innocence, le sort s’acharne sur lui comme un homard: Dieu lui enlève sa maman Dabil Yéya Thiam. «Sans l’avertir» Le papa, modeste griot (sur)vivant à Dakar, fait juste un crochet pour l’enterrement et puis taille la route. Il chuchote, comme gêné : «C’est le seul souvenir vague que j’ai de lui»
Le garçon sera récupéré par son parrain, Mansour Ibra Ali Sy, un agent spécial de l’Etat (équivalent des fondés de pouvoir actuels), installé à Podor. «J’ai traversé des moments difficiles de mon enfance, mais je n’ai jamais souffert car mon homonyme qui m’a recueilli près de lui, me choyait. C’était un grand 1 fonctionnaire et sa deuxième femme était comme une mère pour moi et je l’appelais d’ailleurs «Maman». C’est eux qui m’ont éduqué. On était bien, on ne manquait de rien», insiste-t-il.
Enfant gâté, le môme se révèle dispersé en classe. Mansour n’était pas une tête d’œuf, plutôt un frêle gamin qui aimait courir derrière le ballon de foot. Il traîne des lacunes, peine à décrocher son entrée en sixième et se fait rattraper par ses cadets de l’époque à l’image de Mbassou Niang. «J’ai eu quelques problèmes de vision qui m’ont empêché de bien me concentrer en classe», se justifiait Mansour. Ses «parents», s’arrangent à lui dégotter un pupitre au Cem de Podor. Nouveau coup de massue : arrivé en classe de 4ème secondaire, Mansour Seck ne voit plus les écritures sur son cahier, ni les traces de la craie sur le tableau. «Je ne voyais plus.» Le garçon est abasourdi, mais comprendra plus tard que c’est une maladie héréditaire. Il dit, d’un ton las : «Ce problème de vue, je l’ai hérité de mes grands- parents. Cor ma mère voyait très bien, mon père aussi, moi j’ai deux frères, dont l’un est décédé, qui sont comme moi, des non-voyants. J’ai pourtant une sœur et un frère qui ont une vision parfaite.»
Matraqué du destin. Mais ce garçon entêté et culotté est un symbole chantant du non- renoncement. Privé d’école, il se console par la musique. Le griot Lam Toro flirte avec les guitaristes du coin et frémit du son de Alioune Badara Sock, guitariste réputé, dont le doigté réveillait les auditeurs de Radio Sénégal. Il se sent à l’étroit à Podor et tente l’aventure en 1973 vers Dakar. Il débarque dans la capitale en compagnie de son ami et chanteur Mbassou Niang et d’un jeune élève fraîchement bachelier … Baba Maal. Lasli Fouta…La suite on la connait. Repose en paix l’artiste !