Portrait réalisé par Louise Marie NDIAYE, paru dans le journal L’Observateur, N°4798 ([28&29/09/2019])
A 63 ans ce personnage intrépide cache sous sa robe noire une vie mouvementée.
Fils de juge.
Un avocat qui enlève sa robe en pleine audience peut paraître irrespectueux. Pourtant, à plusieurs reprises, Me Khoureychi Bâ l’a fait. Non pour offenser le juge en face mais, parce que tout simplement, il ne veut pas participer à une parodie de justice. Lorsque les choses dépassent la limite de l’acceptable et qu’il se sent confiné dans l’étroitesse de sa robe par les règles et principes auxquels il est tenu, il lui arrive, lunettes noires sous un regard sombre, de jeter la robe pour partir. Un refus qu’il traduit dans ses actes de tous les jours. Quel que soit son interlocuteur, l’homme aux pas feutrés, ne se gêne pas à le remettre à sa place et à convier les principes qui sont justes. Une autre façon de rendre la justice, point saillant de la personnalité de l’avocat, considéré par certains de ses confrères, comme le Che Guevara du barreau sénégalais. Alors, l’idée de plonger dans le personnage de Me Khoureychi Bâ propulsera le lecteur dans un univers particulier, d’un révolutionnaire qui se bat contre l’injustice.
Expulsé par les Sœurs pour indiscipline.
De Khoureychi, il ne pouvait en être autrement. Fils du juge Tidiane Bâ, il a vécu dans un environnement judiciaire. Né le 15 août 1956 à Dakar, le garçon a grandi, entouré de la tendresse d’une mère sage-femme et de la rigueur d’un papa magistrat, dont les amis avocats et juges venaient manger chez lui. Très tôt, Cheikh Khoureychi tâte l’excellence. Intégrant le prestigieux centre d’excellence «Point E2», dirigé par le célèbre Séguier, qui avait rédigé le livre de calcul, utilisé à l’époque, presque par tous les élèves au début des années 60, en Afrique francophone, il devra quitter cet établissement, suite à l’affectation de son papa à Bakel. Lui et son grand frère, Lamine Bâ, ont suivi «le vieux» qui a ouvert les tribunaux de Bakel, Tambacounda et Pikine. Une chance pour les garçons qui ont vu leur pater s’impliquer dans leur éducation. Qualifiant son frère de «cas atypique», il se souvient du petit garçon «obéissant, très mesuré, qui aimait beaucoup discuter et se battre avec lui.» A Bakel, le petit Cheikh fait un an et revient à Dakar. En classe de cinquième au Lycée Blaise Diagne, sa famille part à Tambacounda sans lui. Entre-temps, le personnage change. Khoureychi raconte le garçon «indiscipliné» qu’il est devenu. Il rejoindra la famille à Tamba où ses parents ont servi avec ceux de Mimi Touré. A l’école des missionnaires de St Joseph, il fait partie des meilleurs élèves, mais se fait expulser par les sœurs qui se sont désolées qu’il entraine les élèves dans un mauvais sens. C’est au Ceg de la ville qu’il obtient le Brevet. La même année, son papa est affecté à Dakar, pour ouvrir le tribunal de Pikine.

1er de son jury 33 au bac, il est obnubilé par Wade à la Fac.
Elève brillant, il réintègre le Lycée Blaise Diagne et décroche en 1977, son baccalauréat, en étant 1er du jury 33 de Kennedy. A la Fac, après avoir obtenu la meilleure note du 1er examen de Partielles de 1re année, il fait beaucoup de militance. «L’expression ‘Thé-débat’ est ma création. Je parle sous le contrôle d’Ousmane Ngom», se souvient-il. Une période qui coïncide avec l’arrivée de Me Abdoulaye Wade dans sa vie. «Wade était comme «la peste» et personne n’osait l’approcher, raconte son frangin. Le gosse était obnubilé par le personnage. Beaucoup de gens venaient dire aux parents de ne pas le laisser fréquenter Wade.» Avec Ousmane Ngom, qui l’a intégré au Pds et dont le fils aîné porte son nom, il est parmi des rares «à choisir le bourgeois libéral». Ils essaient de faire entrer Wade dans l’espace universitaire. Sans grand succès ! En 1978, la conférence de Wade à la Fac n’aura qu’une réussite universitaire. Politiquement, Wade ne pouvait pas pêcher dans les eaux. «C’est en 1988 que ça a été l’apothéose. Wade est revenu, accompagné d’une marche géante jusqu’au Point E. Ce jour-là, le cœur des Sénégalais a flanché. Le Sopi est entré dans l’antre de l’Université de Dakar», dit-il, fier. Khoureychi est aussi de ceux-là qui, avec Habib Thiam, ont décroché les plans de réinsertion des jeunes diplômés. Au moment où certains privilégiaient la création d’entreprises de pêche, de transport et autre boulangerie, il a opté pour les stages dans les entreprises. Par la suite, il est entré au Cesag. Il obtient une bourse pour les Etats-Unis, mais refuse de signer la clause du Recteur qui voulait qu’il enseigne à l’Université à son retour. Khoureychi trouve la pratique «dégueulasse» et crache sur l’opportunité. Il travaillera dans une entreprise de textile, avant de la quitter pour collaborer avec Mamadou Diop dans la municipalité. Adjoint du Directeur administratif et financier et secrétaire de la Commission des marchés, il fait long feu : «Il y avait une corruption extraordinaire. Les entreprises venaient jusque chez vous pour vous corrompre. J’ai donc démissionné.»

Avocat, Dirpub du journal Sopi, emprisonné durant 6 mois.
Fuyant la corruption du privé, Khoureychi fait le concours du barreau qu’il réussit sans grandes difficultés. Beaucoup de ses proches, contre son compagnonnage avec Wade, n’approuvent cependant pas son choix. Mais, il suit les pas de son mentor, «un homme, monument, d’une dimension exceptionnelle» qui l’a «formé et formaté.» Khoureychi prête serment le 18 mars 1988. Une époque à laquelle Wade était en prison avec Ousmane Ngom. «J’ai prêté serment dans des conditions très drôles, parce qu’à un moment donné, je ne voulais pas le faire, mon maître de stage étant en prison. C’est Me Spiner, un ami de longue date, avec toute sa force de persuasion, qui m’a fait céder. C’est d’ailleurs Ousmane Ngom qui m’a prêté sa robe.» Seulement, pour avoir créé avec Wade le journal Sopi, il a été, durant sa période de stage, emprisonné suite à la parution du papier : Les vrais faux résultats de cette élection. «Je devais être inscrit au grand tableau en fin de stage, après le 18 mars 1991. Or, mon emprisonnement de 6 mois est intervenu en plein stage, entre le 19 juillet 1990 et le19 janvier 1991.» Ce n’est qu’en 1993 que l’inscription a été effective…
9 fois inculpé, Khoureychi est amnistié par la loi de juin 1991.
Me Khoureychi pouvait exercer son métier d’avocat sans bisbilles judiciaires. Mais, en portant la casquette de journaliste, il était toujours malmené entre le bureau du juge et chez lui. Me Demba Ciré Bathily, qui a croisé son chemin, alors qu’il était étudiant, se souvient de sa première rencontre avec le mythique homme. «J’étais à un meeting d’Abdoulaye Wade à Grand-Dakar. Il était convoqué à la police. Ce jour-là, Khoureychi avait pris la parole pour dire : Nous tous, on ira là-bas.» Avec Ousmane Ngom, il a plusieurs fois été inculpé pour atteinte à la sûreté de l’Etat, offense au chef de l’Etat, diffusion de fausses nouvelles (255), diffamation et injures … «De toutes ces inculpations, une seule a été exécutée…», précise-t-il. Son frère Lamine, en témoigne : «Avec les Ousmane Ngom, ils étaient les politiciens les plus inculpés dans le monde.» C’est durant son emprisonnement que beaucoup de gens, y compris son frère, découvrent son vrai personnage. «Les interventions ont fusé de partout. Et le Président était même dans les dispositions de le faire libérer, à condition qu’on le moralise et qu’il cesse d’attaquer le pouvoir en place. Mais il a refusé. Ça ne se négocie même pas. Laissez-moi faire ma peine.» Même la maison du régisseur qu’on lui proposait pour y passer sa peine, Me Khoureychi l’a refusée. Mais, toutes ses condamnations ont été gommées suite à une loi d’Amnesty de juin 1991. C’était, d’ailleurs, une des conditions de l’entrée de Wade au gouvernement de Abdou Diouf, confie Me Khoureychi qui, par la suite, quitte le Pds. Pour des raisons qui, pour lui, seront dévoilées un jour. Quant à son frère, le fait que Wade ne soit pas venu lui rendre visite en prison l’a beaucoup marqué. Même si, note-t-il, Vivianne Wade venait souvent le voir, lui confectionnant de petits plats, des beignets…
Dossiers Gbagbo, Sassou Nguesso, Abiola, Verges…
Me Khoureychi, c’est aussi l’homme des grands dossiers. «Entre 1988 et 2019, j’ai eu à intervenir dans des affaires dans lesquelles des membres influents de l’opposition, des syndicalistes, leaders d’opinion et activistes ont été arrêtés dans une dizaine de pays d’Afrique. En France, j’étais le coordonnateur du collectif international des 33 avocats de Me Verges, poursuivi au Tribunal de Grande Instance de Nice, suite à l’affaire Omar Radad : «Omar m’a tué».» Il a aussi plaidé au «Mémorial de Caen sur les dossiers de feu Moshood Kashimawo Olowomé Abiola contre l’Etat. Au Congo, j’ai reçu mandat pour défendre le dossier du génocide Lari (depuis l’affaire des disparus de Beach, perpétré par Sassou Nguessou et son fils Kiki.), l’affaire du meurtre au Mali du journaliste Toumani Touré du journal Lynx tué par le clan d’Ibrahima Boubacar Keïta avec le rôle moteur joué par son fils, Karim Keïta.» Sa proximité avec Laurent Gbagbo, qu’il appelle affectueusement «mon frère», est connue de tous. Devant les écrans de la télévision ivoirienne, l’image de Khoureychi affrontant les rebelles avait flanqué une peur bleue à ses proches. Il a été avec Gbagbo jusqu’à la fin. «Un avocat qui a fait la prison, qui a été journaliste, qui a été à la guerre, c’est le seul qui a ce Background au Sénégal. Fidèle Castro est un avocat qui a fait la guerre, Khoureychi c’est presque un avocat qui a pris les armes», dira un de ses confrères dans l’anonymat. Son frère se souvient : «A chaque fois qu’il allait au Nigeria, au Congo, en Côte Ivoire ou dans certains pays, c’était le deuil chez nous. On disait que c’était fini pour le gosse. Vous imaginez le redoutable président nigérian, Abacha, plaider contre lui !» Au Sénégal, il est dans presque tous les grands dossiers.
Cette valise de millions de Diouf refusée.
Avocat au verbe facile qui maîtrise le droit, Me Khoureychi Bâ pouvait être un homme riche. Mais, il ne l’est pas. «Tout le monde le sait, je n’ai pas d’argent», raille-t-il. Dans presque tous les grands dossiers où il a plaidé, il défend une cause : la justice. D’ailleurs, dans le cas de Gbagbo, ce dernier, séduit par l’avocat qui le défendait gratuitement, venait le prendre personnellement à l’hôtel pour qu’il séjourne chez lui. «Gbagbo reste mon frère, souffle-t-il.» D’ailleurs, pour des questions de principe, il a refusé de se faire payer par la Cpi, à coups de millions, pour défendre Gbagbo. «Si j’avais accepté, je n’allais pas pouvoir le défendre en toute liberté», explique-t-il. Il est aussi dit que Diouf lui avait remis une valise d’argent, mais il a craché, car se disant incorruptible. Khoureychi dira : «C’est vrai, on m’a proposé maison, voiture, argent et autres libéralités, comme des conventions professionnelles avec de très grosses entreprises, mais je ne suis pas le seul, je crois…» Pour l’avocat, «quand tu as choisi de te battre, non pour des intérêts privés, mais pour des causes justes, tu es astreint à une sorte de discipline qui doit s’imposer à toi en toutes circonstances. Se battre contre l’injustice a un prix élevé.»
Quand Wade lui confiait Macky Sall.
En optant pour une telle posture, il se prive de toutes les gâteries. Car, en plus d’être proche des chefs d’Etat du Sénégal, depuis Diouf, il est aussi ami avec de grandes personnalités de ce pays, dont feu Ousmane Tanor Dieng, Me Alioune Badara Cissé, Khalifa Ababacar Sall et l’actuel président de la République, Macky Sall qui lui a été confié par Me Wade, un dimanche matin de l’été 1989, en ces termes. «Macky Sall, un jeune géologue, il vient nous rejoindre. Je te le confie. Tu le présenteras aux gars.» Depuis, «on ne s’est plus quitté, car il a rejoint aussitôt notre groupe restreint composé des feu Ousmane Masseck Ndiaye et Kader Sow, Cheikh Tidiane Touré, Adama Bâ, Ama Touré, Dr Gueye. Avec Macky, il y a des liens fraternels très forts. On a habité ensemble à Derklé et il est le témoin de mon deuxième mariage…» Connu pour sa belle plume, c’est sur la base de son texte que Macky Sall a animé sa première conférence des cadres à Saint-Louis. Parmi les premiers à être reçus par Macky Sall au palais, cette amitié ne l’a pas empêché de soutenir son «ami», Khalifa Ababacar Sall, farouche opposant de son «frère», Macky. Un message fort que Khoureychi lance à ses six (6) enfants qui, en lui, verront un modèle d’homme digne, désintéressé et épris de justice. Un modèle rare, digne d’une collection de musée.
T. Marie Louise Ndiaye Nd. Cissé