Par Mbaye Diouf
Le mot prétoire désigne la salle d’audience d’un tribunal. Héritage du latin praetorium, il rappelle ce lieu où, dans la Rome antique, le préteur rendait justice. Aujourd’hui encore, ce terme évoque le théâtre solennel des confrontations judiciaires, là où les mots tranchent et les idées s’affrontent.
C’est dans ce décor, justement, que se croisent depuis des années deux figures emblématiques du barreau sénégalais : Me Ciré Clédor Ly, avocat d’Ousmane Sonko, actuel Premier Ministre, et Me El Hadji Diouf, défenseur attitré de Mame Mbaye Niang, ancien ministre sous Macky Sall.
Le mardi 1er juillet 2025, la Cour suprême a confirmé la condamnation du leader du Pastef dans l’affaire de diffamation qui l’opposait à Mame Mbaye Niang. Ce jour-là, une fois encore, les deux avocats se sont affrontés dans une joute oratoire d’une rare intensité.
À les écouter plaider, on pourrait croire à une rivalité féroce, tant les mots claquent, tant la verve est acérée.
« Maître, vous avez tout faux ! »
« Ce que vous dites n’a rien de juridique ! »
« Vous faites de la politique, pas du droit ! »
Les piques sont franches, parfois mordantes. Mais tout cela n’est qu’apparence. Car derrière l’opposition de façade se cache une relation singulière, tissée d’histoire et de respect.
Leurs racines s’entrelacent à Guinguinéo, dans la région de Kaolack, où leurs familles entretiennent depuis longtemps des liens faits de courtoisie, de bienveillance et de proximité. Intimes dans la vie, Me Ciré Clédor Ly et Me El Hadji Diouf sont bien plus que des confrères : l’un est le parrain de la fille de l’autre, et c’est lui qui, lors de son mariage, l’a symboliquement remise à son époux.
En dehors du tribunal, ce sont des complices. Mais dès que la robe est enfilée, l’amitié s’efface le temps d’un procès, et la scène se rejoue : chacun défend son client, avec vigueur, parfois avec rudesse, mais toujours avec brio.
C’est là tout le paradoxe du barreau sénégalais : des confrontations musclées dans le prétoire, mais une fraternité indéfectible dès que la séance est levée. Ce savoir-être, cette élégance dans la dissociation entre l’homme et la fonction, constituent sans doute l’une des plus belles traditions de notre justice.
Au fond, ces deux avocats incarnent une certaine idée du vivre-ensemble sénégalais. Une capacité rare à conjuguer l’adversité et la fraternité, le devoir et la fidélité, la vérité judiciaire et la chaleur humaine.
Le barreau, dans ses éclats de voix et ses silences complices, est le miroir d’une nation. Et ces duels d’exception, s’ils fascinent, c’est parce qu’ils nous rappellent qu’au Sénégal, on peut se contredire sans se déchirer, s’opposer sans se renier, s’affronter sans se haïr.
Dura Lex
Sed Lex