Pendant longtemps et en silence, Séga Sakho gaucher magique a lutté contre la mort. L’ancien attaquant des Lions, Sega Sakho était gravement malade, rongé par une maladie cardiovasculaire. Dernièrement, il s’était extirpé de son silence pour accorder un entretien à L’Observateur, à l’époque, la figure de proue de l’équipe nationale A du Sénégal des années 1970 avait lancé un signal de détresse aux bonnes volontés. « Il me faut 3 millions 360 mille francs CFA pour me soigner », se plaignait-il. Le journal l’avait trouvé très mal en point chez lui à la rue 59 de la Gueule Tapée : « Marchant à l’aide d’une canne, sa maladie l’obligeant à ne porter qu’une seule chaussure. » Tout le contraire de ce fringant jeune homme qui a martyrisé les défenseurs de tous bords de son pied gauche magique. Autre temps, autre mœurs. Dans un portrait publié par l’Enquête, on y lisait ceci :
Si la plupart des artistes ont choisi l’art pour s’exprimer, Sega Sakho a décidé de faire du football un art à part entière. A sa palette, dribbles, accélération et éclairs de génie, le tout orchestré sous une patte gauche qui a dessiné l’une des plus mémorables pages du football sénégalais des années 70. Séga Sakho est entré dans le panthéon des magiciens du ballon rond capables de débloquer n’importe quelle situation sur le terrain, selon Abdoulaye Dabo dont le regard luit d’admiration au souvenir d’un pur talent.
‘’Il était doté d’une technique exceptionnelle. Il n’en était pas moins taquin et un peu chambreur. Il transmettait sa joie de vivre sur le terrain aussi bien chez ses partenaires que chez ses adversaires’’, d’après Cheikh Fam, ancien partenaire et ami en équipe nationale et au Jaraaf.
Ce père de 5 enfants ne se connaît pas d’ennemi sur le terrain comme en dehors. ‘’J’étais adoré de tous et pas seulement des supporters des clubs pour lesquels j’ai eu à jouer durant toute ma carrière’’, martèle-t-il.
Très accessible dans la vie, Séga était insaisissable pour les défenses adverses auxquelles il donnait le tournis comme jadis son célèbre homonyme le génial technicien brésilien ‘’Garrincha’’, champion du monde (1958, 1962).
Digne héritier d’une famille de footballeur, à l’image de son père Ibrahima Sakho, ancien capitaine de l’Union des Sélections Indigènes (USI), partenaire d’Iba Mar Diop dont le stade de la Médina porte le nom, Séga n’échappe pas à la passion du ballon rond dès sa tendre enfance. Né en 1949 à Rufisque, cet ailier gauche de formation grandit dans les rues de la Médina et fait ses premières classes dans les championnats populaires à la zone A. Mais en vrai ‘’rebelle’’, ce neveu d’El hadj Malik Sy ‘’Souris’’ ancien ministre des Sports, issu d’une fratrie de J.A men, a choisi les ‘’Bleu et blanc’’ de l’Us Gorée en catégorie junior en 1969.
Ce qui a soulevé quelques irritations dans sa famille demeurée foncièrement partisane de la Jeanne d’Arc, avoue-t-il. ‘’Il m’arrivait de rentrer de l’entrainement de l’Us Gorée et ne rien trouver sur la table à manger car, selon mes parents, tout a été dévoré par les JA men‘’, révèle-t-il avec ironie. Bourlingueur dans l’âme tel un troubadour, cet homme de taille moyenne (1,75m) et à l’allure élégante sur la pelouse, s’exilera un an à la Linguère entre 1970-1971 avant un retour à la case de départ où il fera les beaux jours de la doyenne des équipes sénégalaises. Ce qui lui valut sa première convocation en équipe nationale en 1970.
‘’Mes débuts avec l’équipe nationale contre le Mali m’ont permis d’être pris dans la sélection d’Afrique qui réunissait les meilleurs talents africains pour la mini coupe du monde au Brésil en 1970 où je n’ai pas pu jouer un seul match à cause de ma blessure’’, dit t-il avec regret.’ Si l’intenable dribbleur se voulait le joueur du peuple, Séga Sakho se voulait également le régal du public sénégalais qu’il enchantait tous les dimanches de ses exploits, selon Roger Mendy ancien international sénégalais. Il a eu à recevoir les éloges de l’entraineur du club brésilien de Botafogo qui a enfanté le ‘’magicien brésilien’’ lors d’un match amical en 1970. ‘’Il affirmait que je ne pouvais voir le jour que sous le soleil carioca’’, d’où le surnom de ‘’Garrincha sénégalais’, raconte-t-il.
Vainqueur du Championnat du Sénégal (1973) et de la coupe du Sénégal avec la vieille dame l’année suivante, ce soliste qui n’en était pas moins très collectif fut de toutes les campagnes africaines de la Jeanne d’Arc comme celles qui les menèrent jusqu’en demi-finales à la coupe d’Afrique des vainqueurs de coupe en 1970 et de la coupe des clubs Champions 1974. Avec à la clé le but de la victoire en quarts de finale de cette compétition contre l’Asec Mimosa d’Abidjan (3-1). Après une expérience en France à l’Asc Saint Quentin, pendant deux ans.
International sénégalais pendant 7 ans (1970-1977), ce gaucher dont le pied droit ne sert pas seulement à monter dans le bus était presque ambidextre. ‘’Il m’arrivait de tirer des coups de pied arrêtés avec mon pied droit et je n’avais aucun problème à jouer des deux pieds ’’, avoue-t-il avec nostalgie. Sidérant, pas du tout arrogant, cet homme jovial et amical qui considère le football comme un jeu fut de toutes les campagnes de qualifications pour la Can. De retour au bercail, Sega Sakho, fidèle en amitié, décide de porter les couleurs du Jaraaf (verts) qui sont aussi celles de l’amitié.
‘’Je jouais à la Jeanne d’arc mais tous mes amis les plus proches jouaient au Jaraaf’’, avoue-t-il avec émotion. Plus que celle du Real Madrid, la ‘’Quinta del Buitre’’ du Jaraaf de 1979 (Cheikh Fam, Léopold Diop, Seydou Ba, Mbaye Fall, Séga Sakho) était une véritable famille inséparable sur le terrain comme dans la vie. ‘’J’ai donné le nom de Léopold Diop à mon unique fils‘’, ajoute Séga Sakho. Cette bande des 5 furent la terreur des défenses au Sénégal avec comme point d’orgue le doublé Coupe et championnat en 1982. Mais l’un des matchs phares pour Pape Moussa Ndiaye, ancien capitaine au Jaraaf, c’est le match référence contre l’Asc Monaco (2-5) alors champion de France en 1982, où le ‘’maître’’ servit un vrai récital sur la pelouse en compagnie de ses alter ego.
Même si ce personnage attachant, pas moins ambianceur, manquait parfois d’agressivité dans ses phases défensives, il était aimable, savait tout faire avec un ballon, entre gris-gris, feintes et vision de jeu, toute la panoplie du jeu était revisitée, d’après son ancien partenaire en équipe nationale Louis Camara (1971-1972). En outre, cette volonté de divertir ne le rendait pas moins efficace sur le terrain parce qu’il apportait beaucoup en attaque et marquait beaucoup de buts’’, reconnaît Mbaye Mbengue Diop ancien partenaire. Ainsi, l’‘’artiste’’, comme l’appellent certains, fait partie de l’équipe dirigeante des ‘’vert et blanc’’ depuis 1984.
Grand fan de Mbaye Fall qu’il considère comme son idole, Séga ne peut tourner le dos au théâtre de ses exploits ; même après avoir intégré la Société nationale de distribution (Sonadis) puis la Société assainissement du Sénégal (Sias), il continue à suivre de près l’actualité du football sénégalais. Retraité depuis quelques années, ce sexagénaire se dit prêt à jouer le dernier match de sa vie de retraité, avec une meilleure reconnaissance de la part du peuple des exploits de ceux qui ont porté haut les couleurs de la nation sur les pelouses d’Afrique.