C’était le 24 Février 1902 de sinistre mémoire. Il y a de cela 121 ans. Le décès du capitaine Mamadou Racine Sy est constaté á Kita (Soudan français). Il avait 59 ans. Le premier africain nommé à ce grade de l’infanterie de marine coloniale française quitte ce bas monde après une vie remplie. Né à Souïma (Podor), il a été commandant des postes de Nyamina (1889) et de Goumbo (1896) au Soudan français. Il est décédé au cours d’une mission de recrutement pour la construction du rail que lui avait confié le gouverneur général de l’AOF en raison de son prestige et de son influence. Un regard dans le rétroviseur á travers le livre de Seydou Madany permet de cerner davantage le personnage.
Le livre de Seydou Mandani Sy, Le Capitaine Mamadou Racine Sy (1838-1902). Une figure sénégalaise au temps des Tirailleurs, préfacé par le spécialiste des tirailleurs durant la Première Guerre mondiale, Marc Michel, est intéressant à plus d’un titre. La vie de ce tirailleur, qui devint le premier capitaine indigène des troupes coloniales, jette une lumière originale sur de nombreux aspects de la pénétration coloniale française en Afrique de l’Ouest à la fin du xixe siècle comme sur les modes d’administration qui en résultent. En effet, le parcours de Mamadou Racine Sy ne se limite pas à sa carrière militaire, il fut notamment interprète, diplomate, souverain d’un territoire du Haut-Sénégal, etc. Décédé à l’orée du xxe siècle, sa tombe fut transférée un siècle plus tard, en mai 2011, et il repose désormais dans le cimetière militaire des soldats français à Kita, dans l’actuel Mali, signe que la « mémoire » des tirailleurs est bien d’actualité.
Cette actualité nécessite de multiplier des enquêtes historiques approfondies, notamment en employant une méthode biographique, ce qui est la démarche de l’auteur. Celui-ci n’est pourtant pas historien de formation, il est archiviste-paléographe, ancien chartiste – ainsi qu’agrégé de droit public, ancien doyen et recteur de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar et homme politique ayant exercé comme haut fonctionnaire à différents niveaux de l’État sénégalais –, il est également un petit-fils du capitaine Mamadou Racine Sy. Un des intérêts de la biographie de ce dernier est donc de recouper de nombreux documents d’archives avec ce que l’auteur nomme la « tradition orale familiale » (p. 17).
Le livre se divise en neuf chapitres permettant de suivre de manière chronologique la carrière de Mamadou Racine dans l’armée, puis dans l’administration, au sens large, coloniale française. Celui-ci est né en 1838 – ou 1842 selon des sources différentes – dans les environs de Podor, ville située à environ deux cents kilomètres de Saint-Louis du Sénégal dans la vallée du fleuve Sénégal et lieu de l’arrivée des premiers négociants européens, particulièrement français, à partir du xviie siècle. Son père est un notable lettré musulman, ce qui nous donne un premier aperçu du milieu sociologique dans lequel grandit Mamadou Racine.
Pourquoi, alors qu’il est âgé d’une vingtaine d’années, le jeune Mamadou Racine s’est-il engagé parmi les tirailleurs sénégalais en 1860 ? C’est la principale question que l’auteur pose d’entrée et à laquelle il admet ne pas avoir de réponse, notamment car le soldat n’a pas laissé de témoignages écrits. Deux hypothèses, qui ne sont pas exclusives, justifient peut-être ce choix : une brouille avec son père et une envie de s’impliquer dans le métier des armes. Quoi qu’il en soit, cette trajectoire est assez intéressante car elle tranche avec l’origine servile de la plupart des recrues dans la deuxième partie du xixe siècle, au sein de ce corps militaire crée officiellement en 1857 par Napoléon III, à la demande du gouverneur de la colonie du Sénégal, Louis Faidherbe. L’auteur avance que « lorsque son père apprit que Mamadou Racine s’était engagé à Saint-Louis, il décida d’envoyer au chef de corps des tirailleurs sénégalais dix jeunes gens à son service pour racheter son fils » (p. 29), requête à laquelle n’accéda pas l’officier en poste. La carrière de Mamadou Racine connaît une trajectoire assez rapide, il est simple soldat jusqu’en 1865, date à laquelle il devient caporal, puis sergent l’année suivante. Il est nommé sous-lieutenant indigène en mai 1868, lieutenant indigène deux ans plus tard et, enfin, après une longue période et une controverse entre le ministre de la Marine et des Colonies et le ministre de la Guerre, capitaine en octobre 1883.
L’auteur rappelle ainsi que « le grade de capitaine n’était pas prévu dans le système hiérarchique des tirailleurs sénégalais, qui dépendaient du ministre de la Marine et des Colonies » (p. 30) et insiste justement sur cette nomination en montrant que pour les autorités il y avait « tout intérêt au point de vue politique à assurer au gouverneur français l’attachement des officiers indigènes du Sénégal, et de Mamadou Racine en particulier, dont le père est encore chef d’un village près de Podor » (p. 53). Si les différentes autorités s’accordent sur la nécessité de récompenser un tel officier – et cela nous informe par ailleurs sur les modes de gouverner en situation coloniale – certains opposants arguaient qu’il serait problématique qu’un officier indigène commande des officiers ou sous-officiers blancs. Ce sont ces raisons qui expliquent pourquoi il fallut plus de treize ans avant que Mamadou Racine obtienne un tel grade.
Autre élément de la carrière militaire de ce dernier, il combattit Ahmadou Tall, le grand chef toucouleur et résistant à la colonisation, lors de la prise de Ségou en 1890. Cette victoire marque un des tournants de la conquête ouest-africaine pour l’Empire français. La participation de Mamadou Racine révèle assurément le concours d’intermédiaires, voire d’auxiliaires, dans la conquête coloniale française, loin de l’idée d’une résistance généralisée des populations africaines. Élément intéressant, l’auteur avance, en l’illustrant avec la lettre que le général Archinard écrivit à Ahmadou, que les femmes de ce dernier furent « distribuées » à plusieurs officiers du corps des tirailleurs, notamment Mamadou Racine. Le capitaine Mamadou Racine croise un autre résistant à la colonisation : Samory. La rencontre avec celui-ci traduit, pour l’auteur, le rôle de diplomate qu’a pu jouer Mamadou Racine. Après avoir été chef de poste, le capitaine est nommé, en mars 1899, Fama (roi) de la province de Bambouck, bien après sa retraite de militaire. Il n’est pas inintéressant de citer les propos d’Archinard dans une autre lettre d’investiture, celle concernant le Fama de Sansanding, et qui révèle les utopies du colonialisme français de la IIIe République : « Vous avez pris vis-à-vis de moi et par conséquent vis-à-vis de la France l’engagement de gouverner ces provinces comme les noirs aiment à être gouvernés, mais avec un esprit de justice, d’humanité, de désintéressement qui place le bonheur des peuples au-dessus des satisfactions personnelles de ceux qui gouvernent » (p. 117).
PAN D’HISTOIRE : Vie et mort du capitaine Mamadou Racine Sy
C’était le 24 Février 1902 de sinistre mémoire. Il y a de cela 121 ans. Le décès du capitaine Mamadou Racine Sy est constaté á Kita
(Soudan français). Il avait 59 ans. Le premier africain nommé à ce grade de l’infanterie de marine coloniale française quitte ce bas monde après une vie remplie. Né à Souïma (Podor), il a été commandant des postes de Nyamina (1889) et de Goumbo (1896) au Soudan français. Il est décédé au cours d’une mission de recrutement pour la construction du rail que lui avait confié le gouverneur général de l’AOF en raison de son prestige et de son influence. Un regard dans le rétroviseur á travers le livre de Seydou Madany permet de cerner davantage le personnage.
Le livre de Seydou Mandani Sy, Le Capitaine Mamadou Racine Sy (1838-1902). Une figure sénégalaise au temps des Tirailleurs, préfacé par le spécialiste des tirailleurs durant la Première Guerre mondiale, Marc Michel, est intéressant à plus d’un titre. La vie de ce tirailleur, qui devint le premier capitaine indigène des troupes coloniales, jette une lumière originale sur de nombreux aspects de la pénétration coloniale française en Afrique de l’Ouest à la fin du xixe siècle comme sur les modes d’administration qui en résultent. En effet, le parcours de Mamadou Racine Sy ne se limite pas à sa carrière militaire, il fut notamment interprète, diplomate, souverain d’un territoire du Haut-Sénégal, etc. Décédé à l’orée du xxe siècle, sa tombe fut transférée un siècle plus tard, en mai 2011, et il repose désormais dans le cimetière militaire des soldats français à Kita, dans l’actuel Mali, signe que la « mémoire » des tirailleurs est bien d’actualité.
Cette actualité nécessite de multiplier des enquêtes historiques approfondies, notamment en employant une méthode biographique, ce qui est la démarche de l’auteur. Celui-ci n’est pourtant pas historien de formation, il est archiviste-paléographe, ancien chartiste – ainsi qu’agrégé de droit public, ancien doyen et recteur de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar et homme politique ayant exercé comme haut fonctionnaire à différents niveaux de l’État sénégalais –, il est également un petit-fils du capitaine Mamadou Racine Sy. Un des intérêts de la biographie de ce dernier est donc de recouper de nombreux documents d’archives avec ce que l’auteur nomme la « tradition orale familiale » (p. 17).
Le livre se divise en neuf chapitres permettant de suivre de manière chronologique la carrière de Mamadou Racine dans l’armée, puis dans l’administration, au sens large, coloniale française. Celui-ci est né en 1838 – ou 1842 selon des sources différentes – dans les environs de Podor, ville située à environ deux cents kilomètres de Saint-Louis du Sénégal dans la vallée du fleuve Sénégal et lieu de l’arrivée des premiers négociants européens, particulièrement français, à partir du xviie siècle. Son père est un notable lettré musulman, ce qui nous donne un premier aperçu du milieu sociologique dans lequel grandit Mamadou Racine.
Pourquoi, alors qu’il est âgé d’une vingtaine d’années, le jeune Mamadou Racine s’est-il engagé parmi les tirailleurs sénégalais en 1860 ? C’est la principale question que l’auteur pose d’entrée et à laquelle il admet ne pas avoir de réponse, notamment car le soldat n’a pas laissé de témoignages écrits. Deux hypothèses, qui ne sont pas exclusives, justifient peut-être ce choix : une brouille avec son père et une envie de s’impliquer dans le métier des armes. Quoi qu’il en soit, cette trajectoire est assez intéressante car elle tranche avec l’origine servile de la plupart des recrues dans la deuxième partie du xixe siècle, au sein de ce corps militaire crée officiellement en 1857 par Napoléon III, à la demande du gouverneur de la colonie du Sénégal, Louis Faidherbe. L’auteur avance que « lorsque son père apprit que Mamadou Racine s’était engagé à Saint-Louis, il décida d’envoyer au chef de corps des tirailleurs sénégalais dix jeunes gens à son service pour racheter son fils » (p. 29), requête à laquelle n’accéda pas l’officier en poste. La carrière de Mamadou Racine connaît une trajectoire assez rapide, il est simple soldat jusqu’en 1865, date à laquelle il devient caporal, puis sergent l’année suivante. Il est nommé sous-lieutenant indigène en mai 1868, lieutenant indigène deux ans plus tard et, enfin, après une longue période et une controverse entre le ministre de la Marine et des Colonies et le ministre de la Guerre, capitaine en octobre 1883.
L’auteur rappelle ainsi que « le grade de capitaine n’était pas prévu dans le système hiérarchique des tirailleurs sénégalais, qui dépendaient du ministre de la Marine et des Colonies » (p. 30) et insiste justement sur cette nomination en montrant que pour les autorités il y avait « tout intérêt au point de vue politique à assurer au gouverneur français l’attachement des officiers indigènes du Sénégal, et de Mamadou Racine en particulier, dont le père est encore chef d’un village près de Podor » (p. 53). Si les différentes autorités s’accordent sur la nécessité de récompenser un tel officier – et cela nous informe par ailleurs sur les modes de gouverner en situation coloniale – certains opposants arguaient qu’il serait problématique qu’un officier indigène commande des officiers ou sous-officiers blancs. Ce sont ces raisons qui expliquent pourquoi il fallut plus de treize ans avant que Mamadou Racine obtienne un tel grade.
Autre élément de la carrière militaire de ce dernier, il combattit Ahmadou Tall, le grand chef toucouleur et résistant à la colonisation, lors de la prise de Ségou en 1890. Cette victoire marque un des tournants de la conquête ouest-africaine pour l’Empire français. La participation de Mamadou Racine révèle assurément le concours d’intermédiaires, voire d’auxiliaires, dans la conquête coloniale française, loin de l’idée d’une résistance généralisée des populations africaines. Élément intéressant, l’auteur avance, en l’illustrant avec la lettre que le général Archinard écrivit à Ahmadou, que les femmes de ce dernier furent « distribuées » à plusieurs officiers du corps des tirailleurs, notamment Mamadou Racine. Le capitaine Mamadou Racine croise un autre résistant à la colonisation : Samory. La rencontre avec celui-ci traduit, pour l’auteur, le rôle de diplomate qu’a pu jouer Mamadou Racine. Après avoir été chef de poste, le capitaine est nommé, en mars 1899, Fama (roi) de la province de Bambouck, bien après sa retraite de militaire. Il n’est pas inintéressant de citer les propos d’Archinard dans une autre lettre d’investiture, celle concernant le Fama de Sansanding, et qui révèle les utopies du colonialisme français de la IIIe République : « Vous avez pris vis-à-vis de moi et par conséquent vis-à-vis de la France l’engagement de gouverner ces provinces comme les noirs aiment à être gouvernés, mais avec un esprit de justice, d’humanité, de désintéressement qui place le bonheur des peuples au-dessus des satisfactions personnelles de ceux qui gouvernent » (p. 117).