A la suite de l’arrestation d’Ousmane Sonko le 3 mars dernier, des troubles sociaux ont secoué le pays. L’accalmie n’est intervenue qu’après sa libération, survenue hier lundi. Une contestation des jeunes sénégalais qui cache en toile de fond, des frustrations et une pauvreté crasse qui ont fini de gagner certains quartiers populaires de la capitale, frappés de plein fouet par les impacts négatifs du covid-19.

Un enfant de 15 ans peine à soulever sur ses frêles bras le sac de riz de 25Kg du magasin Auchan des Parcelles Assainies (quartier populeux de Dakar) qu’il traine par terre. C’est un autre de ses camarades qui prend l’autre bout du sac pour l’aider à l’emporter chez lui. De loin, l’on entend les sirènes de la police. N’empêche, Ici personne ne se gêne, des femmes, des hommes de tous les âges, arrachent des pots de tomates, de l’huile du sucre, du beurre, du lait des caissons de cannettes…Une image devenue un rituel. Une image comme une gifle à la sérénité habituelle des Sénégalais. Pourtant, des images du genre ont inondé les réseaux sociaux sénégalais. Des pillages sans retenue ont mis à sec les étagères bien achalandées de la marque Auchan de la grande distribution française.
Pêle-mêle, Auchan des quartiers populeux Hlm, Liberté VI, Keur Massar où un enfant de 10 ans sous la forte bousculade sur les lieux du saccage a perdu la vie. On le retrouvera plus tard sous un amas sinistre de ruines, le corps sans vie. Des scènes surréalistes où des pilleurs s’autorisent d’utiliser des charrettes pour y mettre leur butin composé de denrées de première nécessité. Un modus operandi orchestré par des manifestants d’un genre particulier dans 14 magasins Auchan, recensés. Joint au téléphone pour une interview, le responsable communication d’Auchan Sénégal a décliné, préférant répondre au téléphone. Puisque «occupé par des actions de coordination pour vider tous les magasins Auchan de leur marchandise.» Pape Samba Diouf, c’est de lui qu’il s’agit répond par des bribes de mots sur des bouts de phrases. Il consent à dire juste : «Nous n’avons pas fait le bilan de nos pertes financières (Un long arrêt), mais retenez qu’une dizaine de nos magasins ont été attaquée et pillée.»
Après la grande distribution, des scènes de pillage ont été signalées dans les stations-service Total, un autre groupe français dont les enseignes aux couleurs rouges et blancs a été la cible des jeunes manifestants. Près de 6 stations-service à Dakar ont été incendiées, les boutiques pillées au grand dam des travailleurs de ces groupes traumatisés par tant de violence à leur endroit. Le Secrétaire général (Sg) de l’association des gérants de ces stations, Ibrahima Fall est d’ailleurs monté au créneau. Dernièrement, ce quadra a la gouaille sérieuse, sobrement habillé d’un pantalon et d’une chemise défile sur les plateaux télés pour dénoncer le pillage de «ces entreprises qui, rappelle-t-il, même si elles portent un logo étranger, appartiennent à des Sénégalais. Ces stations-là appartiennent à des Sénégalais. Qu’ils arrêtent de les saccager. Les gens ont le droit de manifester mais ces stations-là, c’est des Sénégalais qui ont investi. Malgré qu’il y a un logo étranger mais c’est des Sénégalais lambda qui ont investi», déclare-t-il.

A son passage à la matinale de la Tfm (Télé Futurs Medias), seules quatre stations-service ont été brûlées. Le lendemain, des jeunes déchainés s’en sont pris à l’autoroute à péage détruisant tout sur leur passage, les boutiques situées dans les parages complétement pillées. Des gendarmes qui ont longtemps retardé le saccage ont permis aux agents en service dans les péages d’être épargnés. Une situation de chaos qui a poussé l’essayiste et romancier Khalil Diallo a trempé sa plume dans la colère pour dénoncer à travers une analyse reprise par Mediapart ceci : «Aujourd’hui le peuple est livré à lui-même. Entre deux feux, ceux de malfrats et brigands qui pillent des enseignes dites françaises, agressent des citoyens jusque chez eux et les forces de l’ordre qui regardent sans ciller, des civils partisans du parti au pouvoir tirer sur la foule de manifestants. Dakar que j’aime tant a disparu, ployant sous les pierres, les cadavres, l’injustice et le mépris de nos gouvernements.»
Dans les quartiers populaires de Dakar fortement impactés par les effets de la pandémie du covid-19 et son lot de malheurs, des pères de famille qui n’arrivent plus à subvenir aux besoins sont obligés parfois de se débrouiller pour vivre colmatant des brèches par-ci, par là. S’y ajoutent que leurs épouses qui les aidaient en vendant après le crépuscule du couscous ou des plats concoctés dans d’austères cuisines ont été obligées de rester chez elles à cause de l’état d’urgence sanitaire assorti de couvre-feu décrété par le chef de l’Etat depuis deux mois. Cela a appauvri beaucoup de ménages, même s’il y a une aide sommaire des autorités qui ont sur la base de listes établies par les chefs de quartier, autres et responsables politiques. Assis sur une natte quelconque, chapelets à la main, Modou Diop sexagénaire fait office de notable dans le quartier des Parcelles Assainies, dans cette cour où les bouteilles d’eau de 10 litres entassées dans un coin se disputent avec les ustensiles de cuisine, des moutons qui errent sans attache, le vieil homme tonne ses quatre vérités aux gouvernants. Il dit : «Il faut que les gens arrêtent cette politique politicienne et travaillent à chercher à donner de l’emploi aux jeunes, sinon les problèmes vont persister. Parce que nous (Vieillards) n’avons plus rien à espérer de la vie, mais les jeunes doivent être aidés.»
Au Sénégal, d’après une étude de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (Ansd) publiée, il y a deux semaines, le Sénégal qui compte désormais 16 millions 705 mille 608 (16 705 608) habitants, est caractérisée par sa jeunesse car plus de 11 millions ont moins de 30 ans, rapporte l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (Ansd). Comparativement, les estimations de 2019, rendues publiques en février 2020, révélait que les personnes âgées de moins de 20 ans représentent 52,1% de la population résidente du pays. Seulement les préoccupations des jeunes ne sont plus au sérieux par les politiques. L’aveu est d’Aminata Touré l’ancienne Premier ministre, défénestrée dernièrement par le chef de l’Etat de la Présidence du Conseil économique social et environnemental (Cese). Invitée de la matinale de la radio Rfm ce lundi, Mimi Touré explique : «Nous les personnes âgées oublions souvent que 70 % de la population sénégalaise n’ont pas encore 35 ans. Donc nous sommes un peuple de jeunes. Ce qui que la principale préoccupation des gouvernants du matin au soir doit être les jeunes puisqu’ils sont plus nombreux.»

A son accession au pouvoir le Président Macky Sall a fait de la jeunesse, l’une de ses principales priorités mais cela n’a pas été suivi de grands effets. Puisque tous ces jeunes qui manifestent sont sans emplois, sans ressources, sans perspectives d’avenir clair. En quelque sorte un horizon bouché qui pousse les plus téméraires à tenter l’aventure de l’émigration clandestine ou se tourner les pouces autour de séances de thé interminables dans des quartiers populaires de Dakar. Face à ces griefs, la ministre de la Jeunesse Néné Fatoumata Tall, jointe au téléphone fait durer le suspense. «Je vous reviendrai sous peu», assène-t-elle. C’est plutôt son conseiller Communication qui va s’avancer dans ce terrain glissant pour apporter des réponses aux nombreuses préoccupations des jeunes. Il dit : «Depuis le remaniement fin octobre, le ministère de la Jeunesse est dans un changement d’orientation et de renforcement de ses actions. Une profonde réflexion a été menée par ses organes centraux pour une meilleure prise en charge des problématiques des jeunes, entre décembre et février on ne peut pas juger un travail. Pourtant les initiatives et actions ne manquent pas. Il y a un mois Madame le ministre a ordonnée l’accélération des projets Prodac (Programme national des domaines agricoles), devant aboutir à 300 000 emplois directs.»
En attendant, l’activité économique est au ralenti au Sénégal où beaucoup de commerces ont fermé boutique, des entreprises privées et publiques qui ont pignon sur des artères principales de la ville de Dakar sont fermées, l’activité économique est bloquée et la chienlit semble s’installer. L’image qui va rester pour bon nombre de Sénégalais, c’est celle de ce père de famille qui a grondé sa fille de tourner le dos au magasin Auchan qui faisait l’objet de pillage.
A l’origine de cette orgie de violence qui secoue le Sénégal depuis six jours, une affaire privée, souffle-t-on du côté de la Majorité entre le chef de file de l’opposition sénégalaise Ousmane Sonko accusé de viols et de menaces de mort sur Adji Sarr. Alors que les partisans de Pastef le parti politique de Ousmane Sonko crient au complot. Tout est parti le 3 mars, quand l’opposant sur la route pour rallier à la convocation du Doyen des juges, a été arrêté pour troubles à l’ordre public et envoyé manu militari à la section de recherches de la gendarmerie de Colobane (Dakar). S’en suit une contestation populaire dans toutes les grandes villes du pays, Saint-Louis où la maison familiale de la Première Dame Marième Faye Sall a été incendiée, des manifestations ont eu lieu à Ziguinchor, Bignona (ville) qui a enregistré le premier décès de ces échauffourées entre forces de l’ordre et jeunes manifestants. Toutes les régions du Sénégal ont vécu ces scènes de contestation pour exiger la libération d’Ousmane Sonko. Aujourd’hui, 10 morts ont été dénombrés à la suite de ces manifestations.
Le chef de l’Etat Macky Sall et le leader de l’opposition Ousmane Sonko ont tous les deux pris la parole pour calmer le jeu et appeler à l’apaisement. Un calme marqué par le deuil silencieux des familles des victimes…
Kinkelibaa.info MTG