Une foule de fidèles venus de tous les coins du Sénégal, de l’Afrique et du monde, a dit hier, un dernier adieu à Serigne Cheikh Tidiane Al Maktoum. A Ndiandakhoum, sa nouvelle demeure, l’émotion était à son paroxysme et le soleil, d’habitude très brulant, a été clément. C’était le 15 mars 2017 de triste mémoire. Relisez le reportage de kinkelibaa.info.
Tivaouane est un grand corps malade qui traîne sa peine. Le soleil compatit à sa douleur : hier, il a étrangement caché ses rayons. Le temps est clément. Sur les visages des fidèles abimés de douleur, les yeux larmoyants, les mines déconfites, les jambes fragiles, les corps poussiéreux, la tristesse est vive. Au milieu du domicile inachevé de Cheikh Ahmet Tidiane Sy au quartier Ndiandakhoum, des zincs entourent la nouvelle demeure du Cheikh. Al Maktoum s’est caché. Des barrières tiennent les fidèles à une distance de 6 mètres du mausolée de fortune. Et une autre, plus proche de deux mètres. L’horloge affiche 8h16. Le soleil se fait désirer. Des fidèles en tenue blanc et vert continuent de désherber les lieux. Ils sont armés de râteaux, de pelles et nettoient les alentours de la dernière demeure du Maktoum. Une foule de fidèles se recueillent, chapelet à la main, certains psalmodient des versets du Saint Coran. Les fidèles, pressés, continuent d’affluer en masse. Certains pleurent en silence, d’autres cachent leurs sanglots. «On vous interdit de prendre des photos, ce n’est ni décent ni respectueux de prendre des photos avec vos portables», avertit un homme bodybuildé, l’air menaçant. Un homme en fait les frais. A peine arrivé sur les lieux, il sort son portable et se met à filmer. Un homme dans la foule l’arrête net. «C’est interdit», lui intime-t-il. L’homme, vêtu d’un caftan blanc, range son appareil. Le flux de fidèles ne s’interrompt pas. Tout se passe dans le calme, un recueillement. Puis tout d’un coup, un cri strident déchire le silence. «Woooy Mame Cheikh demna !», (Oh Mame Cheikh est parti), elle hurle de toutes ses forces, se débat. Elle est maîtrisée par un homme qui l’accompagne. On s’approche de sa maman, tout aussi effondrée. Elle aussi est inconsolable. La fille, gagnée par une émotion extrême, s’appelle Khady Thiam. Elle est une collégienne qui a quitté Mboro en compagnie de son frère, Cheikh, et de sa maman. Elle porte une robe blanche, un foulard rose sur le chef, elle pleure toujours, agenouillée, peinée, sciée comme une feuille d’herbe. «Elle a pleuré toute la nuit quand elle a appris la nouvelle», renseigne sa maman. Son frère, Cheikh Thiam, s’y met aussi, il pleure à chaudes larmes, mais ne veut pas voir ses larmes couler. La douleur est vive, l’émotion palpable. «C’est une perte énorme pour nous qui sommes des disciples du mouvement Moustarchine wal Moustarchidate, notre père nous a abreuvés à la source de Serigne Cheikh, on ne connait que cet océan de savoir», se console Cheikh, vêtu d’un boubou traditionnel blanc avec des motifs noirs. Sa petite sœur, Khady, est toujours effondrée. Tout près, un homme, boubou marron, tombe en pamoison, son corps est gagné par des spasmes.
Aussitôt, deux éléments des sapeurs-pompiers accourent pour le maîtriser au sol. L’homme crie, lutte de toutes ses forces, sa main s’étire sur le sol de cette maison vaste comme un terrain de foot où deux bâtiments trônent : une villa inachevée, un vaste débarras qui sert de toilettes. Le voilà maintenant tout essoufflé, on lui verse de l’eau sur la tête, il pleure en hoquetant. Les deux sapeurs-pompiers l’éloignent de cette poussière qui s’élève dans le ciel, de cette foule compacte qui ne cesse de grossir au fil des minutes, au fil des heures. Ici, il y a ceux qui crient, qui se roulent par terre, ceux qui pleurent en silence, chapelet à la main. Djibril Dione est un sexagénaire qui ne sait plus où donner de la tête. Il traîne son âme errante dans les quatre coins de ce vaste espace. Il vient de Thiès, quartier Cité Lamy, où dans la nuit, il est tombé sur des images du défunt khalife des tidianes, sans rien comprendre de ce qui est arrivé. «C’est tard que je me suis rendu compte que c’est le saint homme qui est parti», souffle-t-il, l’air de rien, sur un ton lucide sans apprêts. A la première heure, il est venu à Tivaouane se recueillir au mausolée de Serigne Cheikh Tidiane Sy Al Maktoum. Il a perdu de vue le défunt khalife depuis des lustres. Mais il garde de l’homme religieux un exemple de vertu, un guide pour éclairer les consciences troublées. «J’ai fait 25 ans en Côte d’Ivoire et c’est sous son inspiration que l’on a créé un Dahira à Cocody, mais cela nous a sauvés de beaucoup de tentations», opine-t-il. Le monde afflue vers le mausolée, qui refuse du monde. L’on a fini de couvrir l’endroit de draps blancs et verts. Ils sont là, atterrés, mais éloignés de la tristesse inouïe qui gagne le peuple de Tivaouane, le Sénégal, l’Afrique, le Monde…, de jeunes élèves sont assis, sacs au dos sur les murs, ils se faufilent dans la foule, avec leurs propres préoccupations. Aujourd’hui à Tivaouane, les cours ont vaqué, école buissonnière pour tout le monde. Et il n’y avait pas possibilité de leur interdire cette soif de curiosité, au vu de la déferlante humaine qui a pris d’assaut la ville de Maodo. Des boutiques fermées, des salons aux rideaux de fer baissés.
«Il faut que les politiques cessent de se tirer dessus»
C’est que Cheikh Tidiane Sy Al Maktoum était un mystique, un érudit et un intellectuel. Un religieux qui n’a jamais eu froid aux yeux pour dire le fond de sa pensée. Au rythme des pleurs, des cris d’hystérie qui atteignent des proportions inquiétantes, Cheikh Tidiane Senghor un quinqua debout comme un piquet, long chapelet noir tenu en laisse, exige de tout le monde que les gens tirent des enseignements du saint homme. «C’est le Sénégal qui a perdu, l’Afrique qui a perdu un grand homme, il a dépassé l’océan, sa source est intarissable. Il faut saisir l’opportunité de tirer des enseignements de Serigne Cheikh. Il faut qu’on essaie de taire nos différences, il faut que les gens reviennent à de meilleurs sentiments, surtout les politiques, qui ne cessent de se tirer dessus et ce n’est pas dans l’intérêt du Sénégal et c’est dommage», regrette-t-il. Les cris fusent de plus belle. Il est 11 heures sur les lieux, qui refusent du monde. Il ne se passe pas une minute sans que l’on entende un cri déchirer le ciel noir de poussière de Ndiandakhoum. Les sapeurs-pompiers sont débordés, mais se tuent à la tâche pour faire face à ce trop plein d’émotion. Adjudant Assane Guèye, teint noir, muscles rugueux, tenue impeccable, est à la tête de la vingtaine d’éléments chargés d’aider les fidèles, saisis d’une très forte émotion.
«Les quelques rares cas que nous avons sont d’ordre émotionnel, à chaque fois, on assiste les gens et quand ils finissent de récupérer, on les laisse s’en aller. En général, les gens crient, d’autres tombent en pamoison et d’autres pleurent sans s’arrêter. Mais l’émotion est compréhensible pour des événements pareils et nous essayons d’aider au maximum», constate-t-il. Des sapeurs-pompiers qui n’ont pas eu le temps de chômer pendant cette longue et pénible journée d’hier. Dans cette cour prise d’assaut, les scènes sont pénibles à voir. C’est difficile, l’image de ces gens d’un âge avancé, cheveux blancs, qui pleurent en silence…, mais nuance-t-on ici : «Depuis six ans, le marabout a fait une retraite spirituelle et personne ne pouvait le voir. Donc c’est comme si il nous préparait à ça.»
Khady Mbodje, une mémé de cinquante ans aux formes généreuses, n’a plus ses jambes pour se tenir debout. Assise à même le sol, elle porte un boubou traditionnel jaune d’œuf. Elle ne se soucie pas de l’épaisse couche noire qui salit ses habits. Elle égrène son chapelet et ne dit rien. Puis, cette habitante du village de Notto déballe sur sa proximité avec Serigne Cheikh avec les membres de sa famille. «J’ai une fille qui s’appelle Astou Kane, elle voue un amour fou à Serigne Cheikh. Aujourd’hui, j’ai discuté avec elle, mais elle n’a pu terminer la conversation», dit-elle d’une voix gagnée par l’émotion, les yeux embués de larmes. Son cœur saigne, mais elle reste digne pour raconter cet homme au-dessus de la mêlée, qui a tiré sa révérence. Dans l’arrière-cour des foyers, sur quelques terrains vagues, des femmes s’affairent autour du déjeuner. Des mets qui risquent de trouver des bouches repues de tristesse. Ici, le rappel à Dieu a anesthésié l’ambiance d’une ville qui vibre des «Zikroula» et des vrombissements des motos de Jakartas, des sirènes hurlantes se font entendre à un rythme effréné. Mais à Tivaouane, il se trouve encore des voix, inaudibles, dans certains cercles pour regretter en messe basse l’emprisonnement de Khalifa Sall.
Mais deuil oblige, personne n’ose s’aventurer sur ce terrain sensible. A peine exige-t-on que «Niou Tapé Xol yi» (qu’on fasse en sorte que les gens aient des relations saines). A Ndiandakhoum et partout ailleurs à Tivaouane, au Sénégal, en Afrique, dans le monde, les cœurs sont lourds de peine. Le soleil a attendu la prière de 14h15 pour distiller de petits rayons. Mais ce 16 mars 2017, le Sénégal l’a gravé dans un coin de sa tête. Le soleil a compati à la disparition de Serigne Cheikh Ameth Tidiane Sy Al Maktoum. Khady Thiam, la collégienne de Mboro, s’est relevée, elle a essuyé ses larmes et a disparu de la foule, tournant le dos au mausolée de son vénéré guide, qu’elle s’efforce de ne pas voir.
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