Ils sont jeunes et sont nés après 1982, date du déclenchement du conflit casamançais. Depuis ; ils vivent les dégâts collatéraux de cette guerre. Ces jeunes qui ont perdu l’habitude de vivre dans une tranquillité complète ne rêvent que d’une seule chose : la paix définitive dans toute la Casamance.
Ils s’appellent Landing Dièmé, Daouda Diédhiou, Christian Faubert Sagna, Stéphanie Gakou, Cheikh Amadou Coly, Marie Sambou… Ils ont un point commun : ces jeunes filles et garçons de Ziguinchor, de Bignona sont nés après le déclenchement de la guerre en Casamance en 1982. Une fois ou très rarement, ils ont entendu les cris de douleur claqués aussi fort que les rafales de kalachnikovs dans le ciel. Ce matin d’hivernage du dimanche 7 juillet à Lyndiane Palmier dans la périphérie nord de Ziguinchor, tout n’est que calme. La routine a pris place devant le poste de police, passage obligé des véhicules qui entrent et sortent de Ziguinchor. Jacques Samuel Diatta 17 ans (il est né le 12-12-1994), teint noir, pantacourt carrelé blanc, tee-shirt bleu se faufile entre les véhicules pour proposer des sachets d’eau aux voyageurs.
Ce jeune homme habitant Lyndiane est conscient que la zone est en proie souvent à des attaques sporadiques d’éléments supposés appartenir au Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (Mfdc), mais fait fi du probable danger. Il est élève à Thionck Essyl et cherche le temps des vacances à gagner de quoi acheter des fournitures à l’ouverture des classes. Mais Lyndiane, sa zone de prédilection est un quartier encerclé par une forêt dense prise souvent comme la cible privilégiée des bandes armées qui commettent leurs forfaits avant de se fondre dans la nature. Alors, forcément le jeune homme vit difficilement la situation d’insécurité qui sévit dans sa localité. «Il y a souvent des cambriolages de bandes armées dans la zone et on vit avec la peur de tomber sur ces gens-là, car ils entrent dans notre quartier et se permettent de tirer à l’emporte-pièce pour faire peur. Forcément, quand vous entendez que ces gens peuvent venir d’un instant à l’autre, vous faites gaffe et vous ne sortez qu’après leur départ», regrette Jacques Samuel Diatta. Un ange passe.
Devant une bassine remplie de mangues, des bouteilles d’huile de palme, Stéphanie Kabou jeune fille de 18 ans vendeuse dans ce carrefour de Lyndiane garde sa part de frayeur dans cette guerre casamançaise. «C’est en 1992 que je me suis renduecompte des effets de la guerre en Casamance, car j’ai été témoin d’attaques d’éléments armés à Lyndiane. Ce jour-là, il y avait une communion chez nous et tout d’un coup nous avons entendu des coups de feu à 23 heures et les tirs ont duré toute la nuit. C’est la première fois que j’entendais des coups de feu, je n’avais pas fermé l’œil de la nuit», explique-t-elle, vêtue d’un tissu Lagos aux couleurs bariolées.
A Lyndiane, à une certaine époque il était difficile aux jeunes regroupés en bande d’amis de faire des plans de vacances, tant les groupes armés régnaient dans la zone. «Il y a de cela deux ans, nos soirées étaient souvent perturbées par des éléments armés qui venaient tirer des coups de feu en ville. Dés fois, il était difficile d’aller voir sa copine dans certains coins du quartier, car il arrivait que quelqu’un vous dise halte, vous braque un pistolet et vous prend tous vos biens», témoigne Boro Bâ, 26 ans, tenancier d’une boutique dans ce populeux quartier, objet parfois de beaucoup de légendes.
Ce jeune homme qui a vu le jour et grandi dans cette localité n’oublie pas deux années chaudes 1998-2009, car selon lui des éléments armés semaient la terreur en cambriolant des boutiques à 21 heures et tenaient en respect tout le monde avec leurs armes. Lyndiane dans la périphérie de Ziguinchor n’est que l’arbre qui cache la forêt.
«La guerre est un blocage pour nous»
A Bignona par exemple, commune située à 20 kilomètres de Ziguinchor la guerre a aussi laissé des traces chez les jeunes nés après 1982. A l’ancienne gare routière de Bignona, à proximité du quartier Hlm, de jeunes gens conducteurs de motos Jakarta ont garé leurs engins et fuient la forte canicule qui sévit sur Bignona. Landing Diémé 24 ans, qui a échoué au Bac cette année n’arrive pas à chasser de sa tête les attaques mémorables connues dans la localité. Assis sur un pan d’un mur, tee-shirt blanc avec des motifs bleus, un pantalon jean bleu, il dit : «La guerre nous fait mal. A chaque fois, que nous voyageons, nous avons des craintes liées aux braquage, car avec les forêts touffues, des gens armés peuvent sortir de n’importe où pour attaquer les gens et les déposséder de leurs biens. La guerre fait mal et nous aimerions vraiment connaître un temps de paix.» Talla Mbaye, tee-shirt orange, blouson bleue, physique chétif, assis à ses côtés n’oublie pas de sitôt les échanges de tirs qu’il y a eu en décembre 2010 entre éléments armés supposés appartenir au Mouvement des forces indépendantistes et militaires sénégalais. «Ce jour-là, les éléments armés sont entrés dans la vie et ont terrorisé tout le monde avec leurs coups de feu. Nous n’aimerons plus vivre ces images d’affrontements dans notre localité», demande-t-il avec déférence. Des sollicitations vaines. Ou presque. Car dans la dernière semaine du mois de juin, un véhicule de transport en commun communément appelé minicar a essuyé des tirs de balles d’éléments armés sur l’axe Ziguinchor-Oussouye.
Mais dans cette guerre, les jeunes gens nés après 1982 ont surtout espoir de voir leurs localités se développer économiquement pour en tirer des dividendes. On retrouve Cheikh Amadou Coly 28 ans (il est né le 27 août 1983) dans une villa à Mèdina Plateau quartier de Bignona, habillé décontracté d’un tee-shirt blanc, pantalon jean bleu, ce professeur d’histoire et de géographie à Dar es Salam dans le Diouloulou estime que la guerre a longtemps freiné leur épanouissement. «C’est un blocage pour nous, car notre localité meurt nous avons du mal à bénéficier d’infrastructures sur le plan économique. Par exemple, des usines ou de grandes industries, nous vivons au jour le jour, parce que la situation est là, il n y a pas d’autres perspectives. Les gens ne veulent pas investir dans cette zone, car à chaque fois, ils disent que ce sont des zones à risques.» Lui dont le père a perdu un véhicule, lors d’un braquage d’éléments armés et où son grand frère a vécu l’une des frayeurs de sa vie lors de l‘attaque vit les réalités de la guerre depuis jeune potache. «C’est dans l’élémentaire, que j’ai véritablement subi les dégâts de la guerre, car à l’époque on entendait des coups de feu et des tirs d’armes lourdes sans véritablement savoir ce qui se passait», raconte-t-il. En écho, Stéphanie Kabou, issue d’une famille d’agriculteurs de Lyndiane paie au plus fort l’insécurité que la guerre a engendrée. «La guerre en Casamance a détruit la forêt et puis comme nous vivons du travail de la terre, l‘insécurité nous empêche d’aller dans les rizières. Et quand nous ne travaillons pas la terre, il n’ y a pas possibilité d’avoir de quoi vivre», serine cette jeune fille qui propose fruits et autres huiles de palmes aux voyageurs.
Toutefois en Casamance les enfants nés après le déclenchement du conflit ont été surtout précocement marqués par les dégâts collatéraux de la guerre. Jacques Samuel Diatta élève à Thionck Essyl a été sommé par exemple, par ses parents de limiter ses déplacements entre Lyndiane et Thionck Essyl. «A chaque fois que je quittais Thionk Essyl pour venir à Ziguinchor, je vivais la hantise des braquages, car il y en avait beaucoup dans cet axe. Finalement, mes parents m’ont dit de limiter mes déplacements où si par extraordinaire je voyageais de laisser toutes mes affaires à Thionck Essyl», avise cet élève qui va faire la classe de Seconde l’année prochaine.
A Bignona en décembre 2010, six militaires sénégalais sont tombés dans le piège de rebelles et ils ont perdu la vie dans l’attaque de leurs positions à Sindian. Des guets-apens qui en rajoutent à l’insécurité dans la zone, car avec le ratissage et les patrouilles de l’armée, il est difficile de circuler, au grand dam des conducteurs de motos Jakarta. Talla Mbaye en fait partie. «Nous prions chaque jour, pour qu’il n y ait pas d’attaques, car cela nous empêche de travailler et si nous ne travaillons, nous aurons du mal à vivre décemment», soutient le jeune homme assis sur un pan du mur à l’ancienne gare routière de Bignona.
Au centre ville de Ziguinchor, l’ambiance est tout autre, car malgré les coupures d’électricité qui n’épargnent pas la ville, des promeneurs du soir fréquentent les places fortes de Ziguinchor comme la place Jean Paul II sans souci, ni crainte. Ziguinchor respire et vit dans la tranquillité et la quiétude. Rien à voir avec la ville en guerre que l’on en décrit. Ici, l’on est à mille lieux de penser qu’il y a une rébellion qui sévit depuis une vingtaine d’années. Surtout à la place Jean Paul II où une colombe blanche figée au sommet d’une statue trône, aux pieds du jet d’eau Gnima Sadio, une gamine de 12 ans d’âge porte un haut vert à motif rose et habite le quartier Boucott Sindian à Ziguinchor, à ses côtés Marie Sambou née en 1982 discutent en toute innocence et dans une bonne ambiance des jours heureux. La guerre, ces jeunes en entendent juste parler, mais au fond d’elles, elles auraient aimé que la colombe de la paix qui surplombent majestueusement la statue, puisse s’envoler pour le grand bonheur d’une région tant meurtrie. Les enfants de la guerre casamançaise ne vivent pas encore la paix définitive dans leur région. Mais, Landing Diémé, Daouda Diédhiou, Christian Faubert Sagna, Stéphanie Gakou, Cheikh Amadou Coly, Marie Sambou ne rêvent que de colombe blanche dans leur sommeil troublé…leur jeunesse aussi.
~#MTGkinkelibaa.info#