Avant sa mort le 10 Juillet 2020, Ndiaga Ndiaye a eu une vie remplie. Il nous avait accueilli dans son garage en 2015. Un tête-à-tête qui marque à jamais. Kinkeliba.Info vous propose le portrait dressé en 2015.
Ce jour-là en 2015, il brillait par ses coups de colère et le ton haut et saccadé de sa petite voix. A 84 ans en 2015 Ndiaga Ndiaye trouve encore un malin plaisir à se défouler sur ses collaborateurs maladroits. Tout le monde y passe. Le vieil homme n’est plus maître de ses intonations. Il se laisse aller sans protocole, ni manière. Le légendaire et célèbre transporteur a tué Mercedes-Benz 508d pour la baptiser en son nom propre. Il faut dire que dans la praxis de la dialectique entrepreneuriale, Ndiaga Ndiaye a inculqué à tous les transporteurs sénégalais le sens du flair, du culot, de l’action. Sans se renier. Le célèbre transporteur dont le nom est devenu un Label dans le milieu, a longtemps hésité avant de se plier à l’exercice médiatique, il n’a pas eu tort. Puisque l’homme s’est toujours méfié des simplifications de presse. Il y a de quoi. L’on confie dans son entourage qu’il n’a jamais accordé d’interview, qu’il ne s’est jamais assis sur une station de radio. Alors le rencontrer pour qu’il raconte sa vie autour d’un portrait relève d’un exploit. La vie de Ndiaga Ndiaye se résume en un seul mot : «Self made man».
Ce jour-là, on le retrouve au garage mécanique sis sur la route de Rufisque, devenu le cimetière de ses rares cars Mercedes-Benz 508d ou «Ndiaga Ndiaye» qui défient encore le temps et le bitume sénégalais. Le vieux Ndiaga Ndiaye, auréolé de sa récente décoration de grand officier de l’Ordre national du mérite par le président de la République, Macky Sall, porte la pancarte, mais fait comme si de rien n’était. «Je n’ai aucun mérite, tout le mérite revient au Président Macky Sall qui a pensé à nous, alors que tout le monde nous avait oubliés. Mais, cela ne me surprend pas de sa part. C’est un homme bien», s’enflamme-t-il, sans trop s’attarder sur les détails, parce que clamant à qui veut l’entendre qu’il n’a jamais fait de politique, qu’il ne le fera jamais. Disons que sa politique, c’est de créer des emplois…
L’homme est un «patron», mais aux atours de plouc. Dans son garage, il est sommairement vêtu d’un boubou traditionnel bleu d’une autre époque, et des sandales d’aucune marque qui se dérobent à la marche. Un bonnet sur le chef comme on n’en porte plus. Mais le vieil homme semble ranger des voitures. Le luxe n’a pas de prisme sur son long parcours de galérien. Ce produit du Daara a trimé dur dans sa prime jeunesse. Lui s’est échappé dans un village à la terre aride de Darou Mousty qu’il a quitté sur un coup de tête, pour rallier Irrada, un village à proximité de Taïf, à pied. Une très longue marche semblable à sa vie faite d’aumône pour survivre et de risques fous. «Pour trouver fortune, il fallait que je parte de chez moi. Après mes études coraniques, j’ai dû rejoindre un village à proximité de Taïf pour retrouver ma sœur qui y était mariée. Durant tout le trajet, je n’avais pas de quoi me payer à manger. Je devais demander l’aumône dans les villages pour manger à ma faim. J’ai marché des jours et des jours, fatigué, éreinté, j’arrive au village où ma sœur vivait. A première vue, quand je me suis présenté à elle, elle s’est évanouie, vu l’état dans lequel j’étais. On m’a fait entrer chez elle et après avoir bien mangé, le lendemain, j’ai commencé le dur labeur dans les champs. Et quand j’avais quelques moments de libre, je gardais de l’argent pour pouvoir apprendre à conduire à Diourbel.»
Le jeune homme qui a marché des kilomètres, est fasciné par l’invention des Blancs qui ont fabriqué le véhicule automobile. Alors à chaque saison sèche, il monte à Diourbel pour faire l’apprenti et apprendre à conduire un «coming car». Il y met toute son abnégation. De fil en aiguille, d’apprentissage à apprentissage, il reçoit une convocation pour passer le permis dans la capitale de l’époque, Saint-Louis. On est en 1955, un froid de canard glace la capitale Saint-Louis. Le jeune Ndiaga Ndiaye débarque dans cette météo hostile pour passer le permis qui se faisait, à l’époque, à la carte. Il monte à bord d’un camion Citroën T45, en compagnie d’un moniteur blanc, puis fait le tour sans ambages. Ensuite, il refait le même exercice, à bord d’un véhicule léger. A 24 ans, Ndiaga Ndiaye décroche le précieux sésame. En contant l’histoire ce jour-là, il ne cesse d’encenser le Blanc et sa science.
Ndiaga Ndiaye est un rameur échappé au bas de l’échelle sociale pour se hisser au sommet des plus célèbres transporteurs du pays. L’histoire incroyable commence par l’acquisition improbable d’un premier véhicule 404, à 700 000 FCfa. Mais il s’en débarrasse très vite pour acheter un camion S2A qui faisait la navette entre le Sénégal et la Mauritanie. Puis à son tour, le camion est troqué contre un 407 Mercedes qui commence à faire des régions lointaines Tamba, Ziguinchor. Seulement, les populations de Darou Mousty se plaignent de ne pas avoir de véhicules qui desservent leur localité. Ndiaga Ndiaye s’en va s’en ouvrir à son marabout, Serigne Sidy Awa Balla qui prie pour le succès de cette entreprise. Le jeune Ndiaga Ndiaye commence à faire la navette Dakar-Darou Mousty à 400 FCfa. «Ce trajet, je l’ai fait pendant 25 ans et en parallèle, j’achetais des véhicules 7 places qui circulaient et qui me versaient mensuellement de l’argent. C’est moi également qui ai inventé le terme Horaire dans le transport au Sénégal. J’ai été le premier à le faire», explique-t-il. Son petit business d’alors commence à décoller, il confie le véhicule à un autre chauffeur et se mue en un entrepreneur très débrouillard.
Ndiaga Ndiaye rêve grand. Le matin, quand les gens vont au travail, lui se charge de concocter des Business Plan dans le domaine du transport pour les proposer aux banques. Il fait la connaissance de feu Omar Seck de la Banque Sénégalo-koweitienne (Bsk) à qui, il soumet l’essentiel de ses projets. «Je ne cesserai jamais de le remercier, c’est lui qui m’a ouvert un compte et aidé à avoir mes premiers financements», témoigne-t-il reconnaissant au défunt Président de la Jeanne d’Arc. Il acquiert un prêt de 80 millions de FCfa et enrichit son parc automobile. Ses affaires prospèrent. Au fil des ans, un autre banquier du nom connu de Abdoul Mbaye de la Biao croise son chemin. Le jeune Mbaye, ébloui par la capacité de remboursement du vieux Ndiaga Ndiaye, lui fait un crédit de 180 millions de FCfa. Une fois de plus, le transporteur qui a vampirisé, à lui seul, les transports publics dans la région de Dakar, s’ouvre davantage à l’intérieur du pays. Sa capacité de remboursement est telle qu’il dépasse les découverts. Abdoul Mbaye le fait appeler personnellement, pour lui remettre son reliquat. Une relation de père à fils naît alors entre les deux. Même si ce père-ci dit n’avoir plus de nouvelles de son très «dévoué» fils, Abdoul. Mais, il a une baraka qui a éclairé sa réussite.
Les affaires de Ndiaga Ndiaga sont devenues florissantes par la grâce de Dieu, mais aussi d’une dame, Caroline Faye, veuve de l’homme politique mbourois, Demba Diop, qui a pris sa main pour le présenter au ministre des Transports, Mady Cissokho. Le vieil homme n’en revient pas encore. Il dit : «Obtenir une licence était devenu difficile, l’on m’a recommandé à Mady Cissokho, l’on m’a alors fait signer trois licences avec Mercedes. Et le lendemain, j’ai déposé les papiers au garage Mercedes. J’ai commencé à acquérir les cars Ndiaga Ndiaye.» Certaines mauvaises langues avancent que le régime socialiste l’a enrichi. Lui balaie d’un revers de main. Même si la même année, en 1984, Abdou Diouf l’élève au titre de chevalier de l’Ordre national du Lion. Puis, il a commencé à s’occuper du personnel de beaucoup de sociétés publiques sénégalaises. Malgré ses affaires qui marchent, l’homme vient dans son garage à 7 heures et ne le quitte qu’à 22 heures. Son entreprise a atteint sa vitesse de croisière dans les années 80-90, quand son parc automobile est estimé à plus de 300 cars Ndiaga Ndiaye. Son teint noir, son visage en couteau, le ton de sa voix qui bégaie parfois, ses fous rires, et ses colères vives, ses coups de gueule furtifs, ses petits caprices d’homme âgé font que ses collaborateurs ne lui tiennent rigueur de rien. «Cela fait 42 ans que je travaille sous ses ordres dans ce garage mécanique, mais il ne connaît que le travail et le sérieux», confie Babacar Bâ, un de ses plus fidèles collaborateurs.
Ce polygame à trois épouses et père d’une famille nombreuse, n’est plus le roi du transport aujourd’hui. Mais des souvenirs marquants ne le quittent pas. Comme ce jour où il a mis pour le compte de Serigne Saliou Mbacké, khalife général des mourides, tout son parc automobile, pour les travaux champêtres de Khelcom, pendant des semaines. «J’ai tout vécu, j’ai beaucoup enduré, mais c’est ce jour qui m’a le plus marqué dans ma vie d’entrepreneur, car j’ai été utile à ma communauté», clame-t-il fier. Il peut encenser comme il peut botter durement en touche. Surtout lorsque l’on convoque son concurrent de l’époque, Lobatt Fall. Lui ne semble pas toujours accepter la rivalité. «Moi je suis chauffeur transporteur, alors que Lobatt qui était mon frère, a débuté par être ‘’coxeur’’. Ce n’est pas pareil.» Un ange passe.
Cet autodidacte qui ne sait pas à quelle année, il a compté son premier million, n’a pas le verbe enjoué des politiques, ni leurs tirades enflammées. Lui s’enivre plutôt du goût de la sueur, du travail bien fait et se courbe devant l’humilité des paysans, «ses parents». Ndiaga Ndiaye ne fait pas de bruit, n’aime pas les mondanités, ne fréquente pas les célébrités et se shoote de discrétion. Ses origines modestes y sont peut-être pour quelque chose. On lui connaît une seule passion publique : les courses hippiques. «Il fut un temps, il était très courant de le voir parrainer une course», livre l’animatrice de la Rfm, Yaye Kane Diallo, passionnée des courses de chevaux. Aujourd’hui, Ndiaga Ndiaye n’est plus au faîte de sa gloire passée, ses cars se comptent par dizaines. Mais ses enfants prennent la relève du vieil homme qui se contente du rôle d’encadreur. Le transporteur le plus célèbre du pays, dont le nom est devenu à lui seul un label, a longtemps fait du social avec ses chauffeurs. «Il fut un temps, quand vous aviez un million de FCfa et que vous aviez besoin d’un car, Ndiaga vous le cédait facilement», témoigne son collaborateur de toujours Babacar Bâ. On lui demande son secret, Ndiaga Ndiaye sort une formule imparable : «J’ai eu le soutien du Bon Dieu», avoue-t-il. L’homme remet tout à Dieu et à ses parents, notamment sa maman qui l’a quitté à l’âge de deux ans. «Il faut toujours s’occuper de ses parents», conseille-t-il. «Ça c’est très important, il faut l’écrire», ajoute Ndiaga Ndiaye. Ouais «Pa» Ndiaga, on va l’écrire, on l’a écrit. MTG