Tout est dans le look : silhouette massive, punch de star, dégaine de faiseur de tubes, jean et tee-shirt XXXL, «Abass Abass» dreadlocks de reggae man au vent, revient de la France avec dans ses bagages, un nouvel album : l’analyse. Un opus de plus pour ce rappeur sénégalais basé à Paris qui vient apporter un souffle d’écriture rigoureuse dans un milieu où les textes légers font foison. «Abass Abass» connu pour la qualité de ses textes littéraires tient ce goût des lettres de sa maman Aminata Sow Fall, l’écrivaine et auteure de livres à succès comme l’Appel des arènes et le Revenant. Une maman à cheval sur les principes qui n’a jamais fait dévier son fils Abass de ses penchants pour le rap. Le fils : «Ma maman est artiste, elle ne s’est jamais opposée à ma passion, parce qu’elle savait que c’est une forme d’expression de l’art. Donc, je suis un artiste, mais à ma façon.»
Sa façon à lui a toujours été de vivre sa vie, en toute indépendance, sans influence aucune. Natif de la Sicap Amitié II (quartier de Dakar) El Hadji Abass Sow dans le civil a grandi avec les livres et les trames des différents romans de sa mère. Cela ne lui confère en rien un profil d’élève studieux et dévoreur de bouquins. Mais, «Abass Abass» passe ses classes de cycle primaire au quartier Amitié 2, ensuite au collège Seydou Nourou Tall, sans figurer au tableau d’honneur. Dans ses années d’élèves en classe de secondaire, El Hadji Abass Sow ressemble à un gros nounours avec sa silhouette massive et ronde coincé dans son coin. Il ne s’émancipe qu’en classe de terminale pour s’amuser à rimer avec son pote Nix entre les pauses de cours. Cela ne lui empêche pas de décrocher son diplôme de Bac série L dans les années 1996-1997. Alors, plutôt que de continuer ses études, il opte pour le rap, sa passion de toujours, au grand dam de ses parents qui n’avaient pas compris son choix. «Ils étaient inquiets au début, mais comme ils ont compris très vite que c’est ce que je voulais faire, ils m’ont appuyé à fond», avise-t-il. Va pour le rap !
En solo, il y va avec ses lyrics conquérir le public de la Sicap Amitié 2, lors de concerts de rap du coin où il met son fief dans sa poche. Porté au pinacle par ses succès épisodiques, «Abass Abass» multiplie les prestations et répétitions en vue de parfaire son style et se faire un nom dans le milieu. Il gagne le respect des rappeurs sénégalais et participe dans la compilation de la coalition D’kill Rap au début des années 2000 où plusieurs futurs talents du milieu dégainent leur savoir faire et leurs flows. Il dit : «J’ai rencontré Dj Awadi, c’est lui qui a produit mon premier album le Zibizibizaba (2001). A l’époque son studio s’appelait le Taf Taf Records, avant de devenir le Sankara Studio. Il est comme un grand-frère pour moi et m’a beaucoup aidé.» Malgré, le succès difficile du premier album, Abass a toujours traîné un sentiment de goût inachevé et d’insatisfaction dans ses productions. «Il me manquait toujours quelque chose, j’enregistrais des morceaux, mais je n’étais pas satisfait. C’est pourquoi, je suis allé étudier en France.» Au pays de Marianne, il s’inscrit au School of Audio Engineers institute (Sae) à Paris, une école de formation en audiovisuel et entame une formation en assistant producteur.
A l’ambiance endiablée des studios, Abass préfère désormais l’endroit studieux des salles de cours tout en se fixant une idée sur sa prochaine production. Trois ans après, il accouche d’un deuxième album, la coalition de la République composée de dix titres qui, comme un embrasement consume la France des Fm et des scènes de concerts. L’album est si bien accueilli qu’ «Abass Abbas» collabore dans la foulée avec Master Flash, le père du Hip-hop en France, Memphis Bellick (rappeur américain) le pote de Jay-Z etc. «Cet album m’a lancé. C’était un album assez engagé et révolutionnaire», sourit-il.
Au fil des ans, ses rimes et la portée de ses textes gagnent en maturité et en sagesse. «Abass Abass» se perfectionne dans son écriture et avec l’âge devient plus décalé dans son analyse de la société. Au contact des moyens modernes de mixage en France, il peaufine ses enregistrements, retravaille ses textes et le résultat donne un nouvel album : l’Analyse (2010). «Cet album est le fruit de mes réflexions et des discussions que j’ai eues avec des gens sur des phénomènes de société», admet-il, ravi de revenir au bercail pour tenter de reconquérir le public sénégalais avec ce tout nouveau produit. «Il me fallait défendre mon produit ici. C’est pourquoi, j’ai programmé des concerts et tout se passe bien, les spectateurs ont beaucoup apprécié.» Mais c’est sans compter avec la critique locale qui accuse «Abass Abass» d’être en déphasage avec les thèmes de la société sénégalaise, bref de ne pas être trop Underground. Lui s’en défend : «Je cherche à cibler un vaste public dans mes produits. Mais quand je fais mes clips, on sent que je suis Sénégalais, parce que ma culture transparait dans les images. Je ne vais pas m’adapter aux réalités américaines.»
Difficile de le faire d’avis, car même s’il est décrié par certains de ses pairs «Abass Abass» n’est pas du genre à franchir le rubicond. Il ne revendique pas le toupet et l’aproche sexy de Nix, Canabasse, Fata qui préfèrent sélectionner des bombes sexuelles pour enguirlander leurs clips, lui préfère s’en passer. El hadji Abass Sow ne «clashe» pas aussi les autorités politiques à l’image de certaines «grandes gueules» comme Daddy Bibson ou Makhtar «le Cagoulard». «Il y a des expressions qui choquent dans le rap et je prends du recul par rapport à ça. Je n’insulte pas dans mes textes, parce je souhaiterais un jour les faire écouter à mes enfants sans avoir honte.» Choix de vie ou rappeur trop lisse ? El Hadji Abass Sow fait mine d’une moue boudeuse.
Venu se ressourcer au Sénégal pour y vendre sa marchandise son nouvel opus, l’analyse, «Abass Abass» coule des vacances paisibles pimentées par des concerts donnés çà et là. Même s’il ne court pas les boîtes de nuit, il aime rester à l’écoute d’autres mélodies pour enrichir son répertoire. Aujourd’hui, en dehors de la scène, El hadji Abass Sow célibataire sans enfant compte s’investir dans l’humanitaire pour défendre la cause de l’enfance malheureuse. Il est en train de monter un projet en partenariat avec Pape Malick Bâ l’international sénégalais du Fc Nantes (Ligue 2 française) son ami d’enfance à Amitié II. Objectif : prendre en charge des jeunes démunis et leur redonner goût à la vie, grâce au ballon. Un match qui promet !