Le Président de la République du Sénégal a convoqué ce 17 juillet 2023, l’Assemblée nationale en session extraordinaire, non pas « et en procédure d’urgence », mais plutôt pour examiner en procédure d’urgence (par dérogation à la procédure ordinaire qui requiert un délai minimum de 10 jours entre le dépôt d’un texte de loi et son examen), certains textes, dont la révision des articles 29 et 87 de la Constitution.
Le nouvel article 87 de la Constitution vise à donner au Président de la République, la possibilité de dissoudre l’Assemblée nationale et à tout moment, alors qu’en son état actuel, ledit article ne le lui permet qu’à l’issue de l’écoulement de deux années révolues, à partir de l’ouverture d’une législature (soit le 12 septembre 2024 pour celle installée le 12 septembre 2022).
Dans une démocratie représentative comme celle du Sénégal, le parlement joue à la fois, le rôle de représentant des populations en prenant en charge leurs préoccupations et en témoignant aussi de leurs satisfactions, de conseiller du Gouvernement au sens large en proposant des solutions les meilleures aux difficultés rencontrées et à travers un dialogue fécond, mais aussi de contre-pouvoir face à la toute puissance du Président de la République et de son Gouvernement.
C’est pourquoi, cette initiative de révision de l’article 87 de la Constitution pour permettre au Président de la République de pouvoir dissoudre l’Assemblée nationale à tout moment, nous paraît dangereuse, inopportune et, au mieux à tempérer. Nous allons essayer de le démontrer.
I/ Une initiative dangereuse
Cette initiative de révision, si elle aboutissait, serait dangereuse en ce qu’elle rendrait le mandat et la condition de député si précaire, qu’elle aboutirait à une vassalisation du parlement vis-à-vis du Président de la République ; Lorsqu’une personne régulièrement élue par le peuple pour cinq ans, se retrouve député à titre précaire et révocable à tout moment (comme le sort de certains travailleurs journaliers ou saisonniers), il ne peut être attendu de cet élu, la concentration et l’indépendance nécessaire à l’accomplissement de son mandat avec efficacité. Qu’il appartienne à la majorité ou à l’opposition, il sentira toujours une épée de Damoclès au-dessus de sa tête, ce qui éliminera par exemple, tout contrôle parlementaire sérieux, même un tant soit peu.
Si par extraordinaire cette initiative aboutissait, vouloir imposer les dispositions de la nouvelle loi constitutionnelle aux députés élus entrés en fonction le 12 septembre 2022 nous paraît aussi dangereux car, nous estimons que leurs mandats sont hors de portée de ladite loi, comme la jurisprudence du Conseil constitutionnel de 2016 et portant sur le souhait du Président de la République de réduire son mandat de 7 à 5 ans, avec effet immédiat.
En effet, en combinant d’une part, les dispositions de l’article 59 alinéa 3 de la Constitution qui disent que le mandat du député est de 5 ans et qu’il ne peut être abrégé que par dissolution et, d’autre part, celles actuelles de l’article 87 alinéa 2 de la même Constitution et qui précisent que « Toutefois, la dissolution ne peut intervenir durant les deux premières années de la législature », on peut dire valablement, qu’au moment de leur élection, les députés disposaient d’un mandat de représentation à durée déterminée dont une limite minimale de 2 ans et une maximale de 5 ans.
Nous pensons que si ce projet de révision de l’article 87 aboutissait, son entrée en vigueur le serait avec la plus prochaine législature de l’Assemblée nationale.
Entre autres choses, toute décision de démissionner d’un député, pour incompatibilité de fonctions, tout engagement pour un crédit bancaire ou autre, tient en compte ce paramètre de la durée minimale de son mandat, comme le ferait un travailleur raisonnable titulaire d’un contrat à durée déterminée.
Cette révision risque de promouvoir une instabilité juridique et institutionnelle grave (d’ailleurs, certains engagements financiers se font avec la caution de l’Assemblée nationale, telles que les cessions volontaires de salaires) en permettant la dissolution, à tout moment, de l’Assemblée nationale composée d’élus au même titre que le Président de la République, alors même que les auteurs d’une motion de censure contre un gouvernement, composé de nommés, ne peuvent en initier une autre durant la même session parlementaire. Une rupture d’égalité manifeste, ce d’autant que former un nouveau gouvernement n’engage pas de coûts financiers, contrairement à une élection législative.
Certes, on peut rétorquer que les députés de la législature 2001-2006 ont vu leur mandat prorogé jusqu’en 2007, par une loi constitutionnelle. Mais cela n’a pas empêché certains d’entre eux (dont Moussa TINE entré en suppléance de Talla SYLLA), de mettre fin à leur mandat à l’échéance normale.
Le Conseil constitutionnel saisi à l’époque d’un recours, a déclaré ne pas pouvoir statuer sur la constitutionnalité ou non, d’une loi constitutionnelle, par rapport à la Constitution.
II/ Une initiative inopportune, au regard du contexte et des enjeux.
Cette initiative de réviser l’article 87 de la Constitution nous paraît inopportune au regard du contexte politique marqué par la fin des deux mandats dans sept mois, du Président de la République, mais surtout, du fait de la grande suspicion (légitime ou pas) entre acteurs politiques de la majorité d’une part, de l’opposition et d’une partie de la Société civile d’autre part.
Encore que le Dialogue national souhaité n’a pu être inclusif et que le consensus sur la révision de l’article 87 n’a pu être obtenu au sein de la Commission politique et qu’elle a du être renvoyée à une commission plus restreinte.
Sans toute cette tension et ces suspicions politiques, faire réviser un certain nombre de textes fondamentaux qui comportent des dysfonctionnements, par un président sortant et à qui il ne reste que quelques mois, était une très bonne chose du fait qu’il n’a aucun intérêt politique à défendre dans la réforme des textes et est en principe, insensible aux pressions de toutes sortes, seule sa postérité le guidant.
Cette révision nous paraît aussi inopportune au regard des enjeux évoqués : Permettre au Président de la République nouvellement élu, de dissoudre l’Assemblée nationale pour chercher à disposer d’une majorité parlementaire qu’il obtiendrait plus facilement par effet d’entrainement de son élection. Ou encore, pouvoir coupler les élections législatives avec l’élection présidentielle.
La question du découplage des élections législatives et présidentielle a été réglée sous le magistère du Président Abdou DIOUF, sur demande insistante de l’opposition, le Parti Démocratique Sénégalais en particulier. Cet acquis fait partie des réformes consolidantes de la démocratie sénégalaise, à l’image de la suppression dans le Règlement intérieur de l’Assemblée nationale, de la disposition qui permettait de bloquer le débat parlementaire dès qu’une opinion favorable et une opinion contraire s’étaient exprimées sur un sujet en débats en plénière (c’étaient les fameuses motions A. K.S.).
Quant à l’argument d’éviter une douloureuse cohabitation à un Président de la République nouvellement élu et sans majorité parlementaire, il faut beaucoup le relativiser, surtout depuis le retour au quinquennat pour la durée de son mandat.
En effet, le futur Président de la République qui sera investi in chaa ALLAH, le 3 Avril 2024, ne supportera la présente législature au grand maximum que pendant 5 mois et 10 jours. Ce délai peut être réduit à 45 jours. Nous allons utiliser la pratique parlementaire et la légistique pour essayer de le démontrer.
Le nouveau Président de la République, avant de soumettre à l’Assemblée nationale ses nouveaux projets de lois à concevoir, sera occupé par la mise en place du gouvernement, les passations de service entre nouveaux et anciens ministres, un séminaire gouvernemental d’initiation des primo ministres, la conception de nouveaux textes et leur adoption au sein du gouvernement etc.. Ce qui peut aller jusqu’ en mi-mai pour que les premiers textes arrivent sur le Bureau de l’Assemblée et, sauf utilisation de la procédure d’urgence pour leur examen, ils ne seront pas discutés en plénière avant fin mai (je passe sur les différents et complexes délais dans la chaine de travail parlementaire).
La session parlementaire ordinaire et unique débutant au plus tard le 15 octobre et se terminant au plus tard le 30 juin de chaque année, on voit bien que sauf convocation d’une session extraordinaire, le nouveau Président de la République n’aura à faire face à un parlement qui lui serait (conditionnel) hostile que durant un mois (que j’allonge à 45 jours) avant le 12 septembre 2024, date à laquelle il peut le dissoudre car il aura siégé deux ans durant.
Entre le 3 avril 2024 et le 12 septembre 2024, voici schématiquement, un exemple de ce que peut faire le Président de la République pour disposer d’une nouvelle Assemblée nationale mise en place dès le 17 septembre 2024 et non en décembre 2024.
- Le 10 juin 2024 le Président de la République prend et publie un décret portant dissolution de l’Assemblée nationale, ce pour compter du 12 septembre 2024 et fixant la date des élections législatives anticipées pour le 25 Août 2024 (il y a l’hivernage mais les examens scolaires sont terminés et les salles de classe libres pour servir de centres de vote).
L’article 87 alinéa 3 de la Constitution dispose que « Le décret de dissolution (de l’Assemblée nationale) fixe la date du scrutin pour l’élection des députés. Le scrutin a lieu soixante jours au moins et quatre-vingt-dix jours au plus après la date de publication dudit décret ».
Dans cet alinéa, le plus important, l’élément clef, c’est la date de publication du décret de dissolution de l’Assemblée nationale qui est déterminant et non la date dissolution.
Nous sommes en légistique et je me permets, de changer le processus qui consistait à dissoudre d’abord le parlement et ensuite à faire une computation (un décompte) des délais constitutionnels impartis. En légistique, un texte ne doit pas être sibyllin, équivoque. Aussi je propose de publier d’abord le décret pour faire démarrer le compteur tout en respectant les délais impartis pour la dissolution et pour les élections législatives, ce qui constitue un gain de temps de soixante jours au moins pour le Président de la République qui cherche à renouveler au plus vite le parlement.
- Le 29 juin 2024, le Premier ministre fait sa déclaration de politique générale (non suivie de vote de confiance s’il le souhaite).
- Le 30 juin ou le 29 juin 2024, clôture de la session parlementaire.
- Du 25 Août au 13 septembre 2024, organisation d’élections législatives et différents recours.
- Le 17 septembre 2024, rentrée de la nouvelle législature par session extraordinaire.
- Le 11 ou 14 Octobre, ouverture de la session budgétaire.
Au regard de cette démonstration, on voit bien que l’argument de l’obstacle d’un parlement hostile ne tient pas beaucoup. En 2012, le Président Macky SALL n’y a pas été confronté sérieusement, tout comme le Président Abdoulaye WADE en 2000 où le groupe libéral s’est renforcé plutôt……..
III/ Une initiative de révision à tempérer, au mieux.
S’il fallait maintenir coûte que coûte cette révision de l’article 87 de la Constitution, nous suggérerions de la tempérer, dans un sens d’équilibre des pouvoirs entre institutions tout en sauvegardant les avancées de notre démocratie en général, de notre démocratie parlementaire en particulier. Aussi, proposerions-nous la rédaction suivante de ses deux premiers alinéas :
« Le Président de la République, après avoir recueilli l’avis du Premier Ministre et celui du Président de l’Assemblée nationale, peut, une seule fois durant son mandat, prononcer par décret et à tout moment, la dissolution de l’Assemblée nationale.
Toutefois, lorsque l’Assemblée nationale adopte une motion de censure contre le gouvernement, le Président de la République peut, en outre, une seule fois au cours de son mandat, prononcer par décret, la dissolution celle-ci, sans préjudice des dispositions de l’alinéa premier du présent article ».
On peut si nécessaire, conditionner l’usage de la faculté de dissolution à tout moment, au blocage du fonctionnement normal des institutions de la République du fait de l’Assemblée nationale.
Nous pensons que l’équilibre de la dissuasion (ou de la terreur pour certains) pourrait être obtenu, c’est-à-dire que chaque institution tiendra compte de l’arme de l’autre, pour ne pas faire un usage abusif de la sienne, compte tenu des conséquences de la possible riposte adverse.
Mais le mieux, c’est que toutes les institutions essaient, chacune en ce qui la concerne, de jouer loyalement son jeu, instaurant ainsi une démocratie dynamique et apaisée, au grand bénéfice des populations représentées.
PS : j’entends déjà les rires des anciens présidents de groupe parlementaire en disant « On ne touche pas à l’Assemblée de NIANE ».
Dakar, le 17 juillet 2023
Ibrahima NIANE
Ancien Directeur des services législatifs de l’Assemblée nationale
Ancien expert du PNUD en appui aux parlements
Consultant en droit et pratiques parlementaires.